Tous Phyrexians | Solitude
?????????
Un petit crabe marcha sur la main de Téfeiri.
Les vagues... Qu'avait-il ?
« Je crois que l'heure est venue, dit Urza en montrant le vide au-dessus de la tête de Téfeiri. Je vois quelque chose là-bas. »
Le destructeur de Dominaria discutant avec le destructeur de Zhalfir ; toujours dans l'ombre du vieux. Je me demande ce qu'il a vu là-bas.
Lève-toi. Pars de cette plage. Oublie tout ça. Cligne des yeux, et ce sera de l'histoire ancienne. C'est probablement la deuxième fois que tu meurs, mais maintenant que tu es revenu, que comptes-tu faire ?
Une guerre se prépare. Que comptes-tu faire à ce sujet ?
Nu et seul, Téfeiri marchait vers l'intérieur des terres depuis la plage.
Il faisait doux. Les rayons du soleil perçaient les nuages ou le brouillard qui surplombaient l'horizon, vaporeux, dorés et diffus. C'était le souvenir d'un soleil et de la façon dont Téfeiri voyait la lumière dans ses rêves.
Téfeiri s'arrêta là où le sable cédait sa place à d'épaisses herbes littorales et à la lisière d'une forêt des dunes. De la côte soufflait un vent régulier. Des petits grains de sable effleuraient ses chevilles. Ici se dressait une arche en pierre rouge qui provenait d'un autre endroit. Elle était rongée par le frottement quotidien des grains de sable, depuis des temps immémoriaux. Des creux réguliers sur la surface de l'arche formaient jadis des écritures, des mots d'une langue, quelque chose qui indiquait l'endroit où il se trouvait. Toutefois, la pierre était trop érodée pour qu'on puisse les déchiffrer. Au-delà s'étirait un sentier qui avait connu de nombreux passages, marqué par des grandes colonnes. Certaines s'étaient effondrées : il n'en restait plus que la base.
Téfeiri s'adossa à l'arche en pierre pour reprendre son souffle. Il sentit une vive douleur à un endroit où il n'avait pas eu mal jusque là. Même respirer le faisait souffrir. Ses poumons lui paraissaient serrés, compressés, comme s'il venait de courir un marathon. Son corps entier lui faisait mal. Il avait l'impression qu'on le tordait, de l'abdomen aux extrémités, comme un chiffon humide que l'on essorerait.
Que savait-il ? L'esprit de Téfeiri fut assailli d'un millier de pensées lorsqu'il se mit à réfléchir.
Tu n'es plus lié à Kaya. Tu es entier, tu n'es plus un esprit. Cela veut dire qu'il leur est arrivé quelque chose de leur côté qui a fait que tu te retrouves dans cet état du tien. Ce n'était ni prévu, ni justifié : en d'autres termes, ça ne lui disait rien qui vaille. Essaie de retourner là-bas.
Téfeiri se concentra et plongea dans son propre esprit pour essayer de se transplaner, comme il l'avait fait tant de fois par le passé... Mais il ne trouva rien. Il ne sentit qu'un soubresaut amorphe, le spasme d'un muscle engourdi. Il s'accroupit, se tourna puis s'assit. Une vague de panique, la nausée. Il reposa sa tête contre l'arche et fixa la mer en plissant les yeux, à moitié aveuglé par la lumière du jour et l'eau scintillante.
Une brume habillait toujours l'horizon. La mer était calme. Les vagues remontaient doucement sur la rive au lieu de s'écraser dessus. Les oiseaux de rivage et les crabes, le chasseur et la proie, fuyaient et dansaient. Tout est si loin, pensa Téfeiri. C'est d'une beauté à nulle autre pareille.
Il regarda la lumière se refléter sur l'océan. Il tendit une main vers un soleil imaginé, et voulut qu'il se couche sous l'horizon caché, pour que la nuit tombe comme par enchantement. Le temps ne répondit pas à son souhait. Il remit sa main sur sa cuisse.
« C'est fini, dit Téfeiri à voix haute, en s'adressant au vent, aux oiseaux et aux crabes. Ils ont gagné. »
La nuit tomba. Téfeiri s'endormit. Le chant des cigales rappelait des scies circulaires cauchemardesques. Il rêva de choses dont il ne se souviendrait pas, mais qui ne le quitteraient pas pour autant à son réveil :
Kroog. Un champ de boue balafré de tranchées, un visage grêlé par la vérole tout droit venu de l'histoire la plus sombre de Dominaria, la bouche d'un cratère trempé à cause des cadavres réanimés, frais comme pourrissants, des câbles qui s'immisçaient sous sa peau. Argoth, en feu, taché par le pétrole, les elfes et les humains écrasés sous les pattes de bêtes en métal dont les scies circulaires lui faisaient serrer les dents ; en réalité, ce n'étaient que les cigales hors de son rêve.
Voici les choses dont il se souviendrait à son réveil :
La pression glacée lorsque le Phyrexian l'avait poignardé. Les couloirs sombres de la tour d'Urza en état de siège, qui lui rappelaient les couloirs de Tolaria de jadis, qu'éclairaient des torches et dans lesquels retentissaient des cris de souffrance.
Et ce qui le faisait le plus souffrir :
Soubira n'erre plus sans fin, car il le fait à sa place. J'espère recroiser ton chemin, Soubi.
Un brouillard froid tomba sur la mer, donnant la chair de poule à Téfeiri. En se réveillant, il vit la mer à marée haute. Les vagues s'écrasaient désormais là où, plus tôt, elles remontaient doucement le rivage. Sous le clair de lune, l'eau se teintait d'un bleu argenté profond.
Téfeiri se releva. Il n'y avait pas de lune. Pourtant, une lumière bleu pâle illuminait le paysage avec contraste. C'était curieux, mais il ne pouvait pas s'attarder ici. Il devait aller à l'intérieur des terres, là où il faisait plus chaud. Il devait suivre les sentiers. Là où il y a d'autres personnes, il y a de l'espoir, car ces personnes doivent manger, dormir et rire. Elles doivent probablement avoir des vêtements à me prêter, pensa-t-il en resserrant ses bras autour de lui pour se protéger du froid. Il frotta ses bras pour se réchauffer et emprunta le chemin qui menait à l'intérieur des terres. La forêt des dunes le protégeait en partie des vents glacés. Plus il marchait, plus la nuit se réchauffait et moins le vent l'assaillait. Une odeur complexe de bois pourri, de marées, de vie et de mort embaumait l'air.
Téfeiri sortit de la forêt des dunes et se retrouva dans une brousse dominée par une vaste canopée basse. Des insectes et le vent animaient la nuit dans un léger ronronnement à peine audible. Grâce au clair de lune brumeux qui n'en était pas vraiment un, il pouvait voir le paysage s'étirer au loin. Des traits sombres dessinaient une bordure bosselée sur l'horizon : c'étaient des montagnes, basses et anciennes, qui se trouvaient à des kilomètres de là.
Le chemin continuait, mieux visible. Le sable pâle brillait comme un signal lumineux sous le clair de lune, formant un ruban qui s'étirait sur une dizaine de mètres jusqu'à une prairie. Cette dernière laissait place à un chemin terreux marqué par des ornières de charrettes, semblables à des veines sèches érodées par la pluie.
Téfeiri s'accroupit et tendit sa main vers le sable. D'un geste lent qui dessinait une boucle, il passa sa main au-dessus d'une vieille empreinte. Il se concentra et remonta le temps pour se plonger dans cette histoire passée.
Des gens étaient déjà venus ici. La plage qui se trouvait au-delà de la forêt de dunes était autrefois un bout de paradis où les familles passaient de longs après-midis à nager dans la mer calme et à se détendre. Les enfants criaient de joie sur ce chemin et sautaient en passant sous l'arche rouge, dans l'espoir d'être un jour assez grands pour taper la clef de voûte à son point culminant. Les parents les suivaient en tirant des charrettes ou en tenant des sacs souples tricotés qui contenaient le nécessaire pour la journée : des provisions froides et séchées, de l'eau, des couvertures, des récits écrits, des paniers où cas où ils trouveraient des moules ou attraperaient des petits poissons, ou encore des pièces pour marchander avec les vendeurs qui arpentaient le rivage.
Téfeiri ferma les yeux. Avec son autre main, il dessina une plus grande boucle. Il devait prendre du recul ; il revint sur ses pas, au bord de l'eau, non loin des brisants. Des visions lui vinrent, pareilles à des souvenirs, à des rêves.
De longs bateaux de pêche à coque large et aux couleurs vives bordaient autrefois la plage. Dans l'après-midi, la plupart des marins revenaient avec leurs prises du jour et se rendaient sur les marchés situés à l'intérieur des terres. Certains s'allongeaient sur la plage avec leurs partenaires et leurs amis, d'autres restaient en arrière pour rafraîchir la peinture de la coque de leur bateau, ou retirer les bernacles qui s'y étaient fixées. D'immenses filets étaient mis à sécher sur des tours et flottaient au vent. Certains des travailleurs et des marins dormaient après leur dure journée de labeur, à l'ombre de leurs bateaux retournés. De l'eau gouttait de leurs filets qui séchaient, et ces derniers embaumaient l'air d'une douce odeur iodée.
Une autre rotation. Il faut visiter un passé plus proche.
De moins en moins de familles venaient ici. Les personnes qui osaient venir ici marchaient ensemble, proches des unes et des autres. Certains des parents tenaient de vieilles armes, comme des dagues ou des bâtons en bois dur se terminant sur une extrémité en fer. Il n'y avait plus de bernacles sur les bateaux, et la peinture des coques était blanchie par le soleil. Cela faisait bien longtemps qu'aucun marin n'avait pris la mer ; les coques les plus vieilles commençaient à se fissurer. Les filets, qui avaient été mis à sécher, étaient devenus blancs et fragiles, et avaient perdu leur souplesse. Les marins n'utilisaient plus leurs filets, car ils n'en avaient plus besoin. Les marins avaient peur de la même chose que les parents. C'était d'ailleurs la peur de Téfeiri, la même peur qui ne quittait jamais son esprit, cette voix intérieure qui lui murmurait d'avoir peur de la mer. D'avoir peur de la nuit. D'avoir peur des choses invisibles.
Une autre rotation. Encore plus proche.
La peur. Le bourdonnement des insectes dans le présent se mélangeait au fracas des vagues dans le passé et aux terrifiants cris aigus sur le vent marin. Un cataclysme. Un mouvement de foule fit trembler le sol. Le sol se leva, vacilla, bougea.
Une autre.
Vide. La pluie tombait sur les vagues qui s'écrasaient contre les flancs des dunes.
Une autre.
La plage était à nouveau là. L'eau était calme. Très calme. Une brise légère souffla sur l'herbe de la dune, avant de retomber.
Une autre.
Tout au bout du chemin, où Téfeiri avait essayé en vain de retrouver sa mémoire avant que les ténèbres n'engloutissent tout, une langue de brume avança. Elle tourbillonna, puis s'estompa sous l'effet d'un vent imperceptible.
Jadis, ce chemin avait un battement de cœur qui lui était propre : le bruit des pas des gens qui se dirigeaient vers la mer, mêlé au bruit des pas de ceux qui rentraient chez eux. Wrenn aurait appelé ça une chanson, pensa Téfeiri. Il se leva et mit fin à son sort. La puanteur de la chronomancie se dissipa. Téfeiri regarda derrière lui. Le chemin aussi était un corps. Un corps sans vie qu'il connaissait, qui s'étirait vers l'horizon au loin. Au-delà, il n'y avait rien. Il n'y avait qu'un vide empyréen, coupé du temps et de tout le reste.
Zhalfir. Après plus de quatre cent ans, il était revenu sur Zhalfir.
Zhalfir
Après plusieurs kilomètres à l'intérieur des terres, le chemin que Téfeiri suivait rejoignit une grande route pavée. Elle s'étendait d'un horizon à l'autre et était parallèle à la côte. Sans la brise maritime, la nuit conservait la chaleur de la journée. Des hautes herbes bordaient la route. À cause des chants des insectes, on ne s'entendait plus penser.
Sans vraiment savoir où aller, Téfeiri tourna à gauche et commença à marcher.
Plusieurs heures plus tard, au point du jour, un fracas de charrettes et de sabots le réveilla. Téfeiri s'était un peu écarté du chemin pour dormir ; ce n'était plus possible à présent. Malgré la douleur, il approcha en se cachant dans le maquis. Il vit devant lui une caravane rouler au pas.
C'était une longue file de dix chariots ; chacun était tiré par un groupe de bêtes dociles, des bœufs ou des buffles. Les caravaniers se tenaient dans les chariots sur des bancs ombragés. Ils portaient plusieurs couches de vêtements fins et des capes aux tons terreux, rouges et verts. Ils étaient calmes, mais fatigués. Nombreux tenaient des tasses fumantes de café ou d'une autre boisson chaude. Téfeiri supposa qu'ils faisaient partie de l'équipe du matin, levés dans l'heure pour prendre la relève de leurs compatriotes qui dormaient dans les grandes charrettes couvertes de toiles au milieu des boîtes et des sacs de marchandises qu'ils transportaient. Il regarda longuement les premières charrettes rouler à l'avant et observa les gardes en armure à l'arrière. Certains dormaient assis, attachés aux poutres qui supportaient leur chariot pour ne pas tomber. Ces gardes n'étaient pas les akindjis dont se rappelait Téfeiri : leur armure n'était pas uniforme, leurs armes étaient simplement en fer et leurs capes n'étaient pas teintes. C'étaient sans doute des mercenaires nomades engagés à bas prix par les caravaniers.
L'estomac de Téfeiri gargouilla. Il se rendit compte qu'il tremblait. Il était affamé, fatigué, assoiffé, perdu. Et surtout, il était seul. Il avait besoin d'aide, il avait besoin de prendre ce risque.
Téfeiri attendit qu'un autre chariot passe avant d'avancer sur la route.
« Bonjour », dit Téfeiri à la caravanière qui approchait. Il leva une main pour lui faire signe.
La caravanière cria et réveilla brusquement son copilote. Il sursauta en agitant ses bras dans tous les sens et envoya valser le café de sa compagne de voyage. Les bœufs qui tiraient la charrette demeurèrent impassibles, visiblement ravis de faire une pause. Le bœuf de tête renâcla et tourna la tête vers Téfeiri en clignant des yeux.
Ce remue-ménage arrêta la caravane. Des cris, des « halte ! » et des « à l'attaque ! » retentirent tout le long de la file de chariots. Dans une grande cacophonie, les gardes quittèrent leurs postes en s'emmêlant dans les cordes qui les empêchaient de tomber pendant leur sommeil. La plupart d'entre eux furent assez rapides pour encercler Téfeiri et le tenir à bout portant de leur lance dans la minute.
« Qui êtes-vous, homme nu ? », cria l'une des gardes. C'était une femme à la voix rauque qui avait à peu près l'âge de Téfeiri. Elle portait une armure usée, mais dont elle avait pris soin. Le col de fourrure sur son manteau bleu royal rapiécé indiquait qu'elle avait autrefois fait partie de l'armée. Elle était donc probablement la cheffe de ce groupe. Tout comme le reste des gardes, elle tenait sa lance en direction de la poitrine de Téfeiri.
« Un voyageur. J'ai été attaqué par des bandits, mentit Téfeiri. Il y a deux jours, près de la côte. Ils ont pris mes vêtements, ma nourriture et m'ont laissé pour mort. S'il vous plaît... Auriez-vous quelque chose, n'importe quoi à me prêter ? »
La cheffe baissa sa garde. « Des bandits, dit-elle en faisant signe à ses compères de baisser leurs armes. Qu'on lui donne une cape. Près de la côte ? Soyez tranquille, voyageur. Ils ne vous feront plus aucun mal. Nous nous sommes occupés de cette bande de traîtres pas plus tard qu'hier soir. »
« Ah bon ? », demanda Téfeiri. Il dissimula avec brio sa surprise. L'un des gardes lui donna une cape. Téfeiri l'enfila, en observant longuement les gardes. Un grand nombre d'entre eux avaient des bandages sur leurs membres, leurs flancs et leurs têtes. Le combat avait dû être rude.
« Ils sont de plus en plus coriaces, grimaça la garde en chef. Les gens ne peuvent pas vivre en permanence sous la menace : ils finissent par céder à la colère. À la faim. Ils n'ont pas envie de faire des sacrifices. »
« Les temps sont durs. », approuva Téfeiri. Pas envie de faire des sacrifices ? Il se demanda depuis combien de temps ils subissaient cela. Quelques instants, ou des années ?
La cheffe baissa les yeux en pesant avec sérieux ses prochains mots. « Vous êtes la seule personne encore en vie de votre groupe », dit-elle. Elle avait parlé d'un ton direct, factuel. « Leurs corps sont dans la dernière charrette. Nous comptions les ramener à Kiingal. Vous pouvez venir avec nous pour parler en leur nom. » La cheffe des gardes acquiesça. La décision prise, elle émit un bref sifflement pour signifier qu'il fallait retourner au travail. Lorsque la caravane se remit en route, elle commença à marcher et fit signe à Téfeiri de la suivre.
Téfeiri se mit en rang et se couvrit avec sa cape. L'aube s'était enfin levée et le soleil réchauffait l'air.
« Votre visage me dit quelque chose, dit la cheffe des gardes. Je m'appelle Eshe. D'où venez-vous ? Comment vous appelez-vous ? »
« Sefu, mentit une nouvelle fois Téfeiri. Je viens de Kipamu. J'ai un visage assez commun. » Il sourit. « Ça fait de moi un bon marchand : tout le monde fait confiance à un ami. »
« En effet. »
Eshe et Téfeiri marchaient en silence et gardaient un rythme régulier à côté des grandes charrettes qui roulaient.
« Vous n'avez posé aucune question sur les morts. »
« Les morts ? »
« Vos camarades, dit Eshe. Combien étiez-vous, déjà ? »
Mince. Téfeiri ne pouvait pas se retourner pour vérifier, la charrette était bien trop loin. Au lieu de cela, il canalisa rapidement un sort subtil pour extirper la réponse de la mémoire d'Eshe. Il n'était pas très doué pour appliquer le regard. Parmi la vieille garde des Sentinelles, la lecture mentale était plutôt la spécialité de Jace. Cela mettait Téfeiri mal à l'aise de plonger dans un endroit aussi intime d'une personne et d'ouvrir le royaume de son for intérieur comme on ouvre une encyclopédie, et surtout de risquer d'ouvrir la mauvaise porte et de semer le désordre dans le casse-tête qu'était l'esprit humain. De plus, il trouvait que c'était mal d'envahir l'esprit de quelqu'un. Mais il n'avait pas le choix : il était désespéré et le temps pressait.
Un léger bourdonnement dans son oreille. L'odeur âcre de l'herbe brûlée. Un seul cri, écourté par une lance avec une pointe en forme de feuille.
« Dix », dit Téfeiri alors que le souvenir s'évanouissait.
« Dix morts ? répéta Eshe en secouant la tête. C'est une véritable tragédie. Mais ne vous en faites pas, dit-elle. Nous prendrons bien soin de vous. »
Le lendemain matin, la caravane s'arrêta. Il ne restait plus qu'un jour de voyage avant d'arriver à Kiingal.
« En rang, mettez-vous en rang », crièrent les gardes en invitant les caravaniers à se mettre en rang sur le bord de la route. « Dépêchez-vous, il y a peut-être des bandits », crièrent-il en pressant les marchands aux yeux fatigués.
Téfeiri se mit en rang avec les caravaniers, tenant tant bien que mal debout et essayant de rester aux aguets comme les gardes le demandaient. Il avait eu le sommeil agité, même lorsque ses cauchemars avaient pris fin. Il bâilla, imitant la caravanière à côté de lui qui frissonnait tant elle bâillait fort.
« C'est comme ça tous les matins ? », demanda Téfeiri à la caravanière.
« Non », dit-elle. Elle tremblait. Ce n'était pas à cause du froid, car il faisait bon, mais parce qu'elle avait peur. « Ne faites pas confiance à ces bandits, murmura-t-elle rapidement. Ils ont tué nos gardes et ont pris leur place, ils comptent vendre notre marchandise pour... »
« La ferme », siffla Eshe. Surprise, la caravanière sursauta. Eshe les regarda l'un après l'autre.
Téfeiri croisa le regard d'Eshe, puis, il comprit. Son regard était rempli de haine parce qu'elle l'avait reconnu. Elle savait qui il était.
« Remets-toi en rang, Sefu, dit Eshe à Téfeiri. Plus un geste. »
Téfeiri acquiesça et ne bougea plus. Il pouvait encore changer ce qui allait se passer. Il y avait forcément une solution autre que la violence. Il resta silencieux et attendit.
Les gardes se mirent en face des caravaniers. Certes, ils étaient en infériorité numérique, mais ils étaient armés et portaient des armures. Ils attendaient qu'Eshe finisse de passer longuement en revue leurs prisonniers. Elle marchait avec une précision sans pareille.
« Écoutez-moi bien », dit Eshe en atteignant la fin de la file. Sa voix portait, sur ce tronçon de route vide, et dominait avec clarté le bourdonnement aigu matinal des insectes. « Vous avez fait preuve de patience. Vous avez été gentils même si nous vous avons mal traités. Maintenant, j'ai besoin que vous me rendiez un dernier service : il y a un traître parmi vous. »
Les caravaniers échangèrent des regards inquiets.
« Zhalfir est en guerre », continua Eshe. Elle se tourna et, doucement, remonta la file des caravaniers réunis. « Voilà des générations que nous sommes en guerre. D'abord, il y a eu la guerre du Mirage, puis la guerre kelde, et maintenant, il y a cette attente interminable. Cette préparation à la guerre phyrexiane et à la défense de Dominaria contre les hordes de Yaugzebul. Nos champs, nos villes, nos terres, notre peuple... Tous sous la coupe de la guerre, depuis des générations. » Eshe s'arrêta près d'une caravanière. Sans la regarder, elle la pointa du doigt. « Toi, dit-elle. Combien de membres de ta famille as-tu perdu ? »
« Trois pendant la guerre du Mirage », balbutia la caravanière, d'une voix rauque. « Ma mère, ma grand-mère et mon grand-père. »
« Et toi ? » Eshe pointa du doigt une autre caravanière.
« Deux, lors de l'attaque kelde, répondit-elle. Mon mari et mon frère. »
« Toi ? »
« Mon frère, ma sœur et mes deux filles contre les armées de Kærvek pendant la guerre du Mirage. Et j'ai été blessé à Tefemburu. »
Eshe hocha la tête. Elle tendit la main vers ce dernier caravanier, un instant bouleversée. Elle posa son front contre le sien et lui murmura doucement quelque en secret. Puis, elle embrassa son front et se recula. Elle regarda les autres bandits, les pointa du doigt un à un avant de pointer les caravaniers du doigt à leur tour.
« Nous sommes tous liés par le deuil, dit Eshe. Nous sommes frères et sœurs dans le deuil, la faim et la peur. »
Téfeiri baissa les yeux vers la terre rouge sous ses pieds nus. Il ne pleurait pas. Ce n'était pas à lui de pleurer.
« Zhalfir seule, et nous seuls avons réussi à arrêter toutes les lames prêtes à nous tuer. » Prise par l'émotion, la voix d'Eshe tremblait. « Peu importe le nombre de morts, peu importe la force de nos ennemis. »
Un silence régna. Eshe tapait la route en terre battue avec l'extrémité de sa lance dans un rythme lent, dans le but de calmer les cœurs agités. Elle fit quelques pas pour approcher de Téfeiri.
« Tu es le seul », dit Eshe. Plus aucun autre bruit ne parasitait cette matinée chaude. « Il y en a un ici qui n'a pas connu cette peine. Il s'est enfui. Mais il est revenu », dit-elle. Eshe leva un bras pour désigner Téfeiri. « Voilà Téfeiri, le traître. »
Les caravaniers et les gardes s'agitèrent, crièrent et poussèrent des cris de surprise devant cette révélation. De façon précipitée, les caravaniers s'éloignèrent de Téfeiri tandis que les gardes avancèrent vers lui en dégainant leurs armes. Certains caravaniers approchèrent également de lui en serrant les poings. Téfeiri ne se débattit pas lorsqu'ils l'attrapèrent. Il leva simplement les mains.
« Eshe, s'il te plaît. »
« Non », dit Eshe. Elle leva sa lance, rassembla ses forces et visa son cœur.
« Arrête », dit Téfeiri, et le temps obéit.
Il soupira. Il se défit doucement de l'emprise des caravaniers arrêtés par le temps. Exténué, il s'accroupit. Puis, il s'assit.
« Je n'ai pas bien dormi la nuit dernière, marmonna Téfeiri. Eshe, est-ce que tu m'entends ? », demanda-t-il. Il leva les yeux vers Eshe qui n'était pas tout à fait figée ; elle bougeait avec une lenteur presque imperceptible, piégée dans son mouvement. Elle ne fit pas attention à lui. Un gémissement grave sortait de sa gorge : elle criait au ralenti.
« Bon. » Téfeiri dessina un arc nonchalant avec son doigt. Le coup de lance d'Eshe s'accéléra, et elle finit son cri presque normalement. La confusion gagna son visage, alors que ses yeux finirent par lui dire que Téfeiri avait disparu.
« En bas », dit-il.
Eshe l'entendit après quelques minutes. Sa confusion se transforma en colère, mais elle le regardait enfin. Téfeiri la regarda se débattre contre le temps au ralenti, s'efforçant d'abattre la lame la lame de sa lance dans un mouvement peu esthétique, mais efficace.
« Jadis, j'étais amoureux d'une caravanière, dit Téfeiri. Elle s'appelait Soubira. Comme toi, elle pensait que j'étais un meurtrier quand je l'ai rencontrée. Elle pensait que j'étais un idiot. Elle pensait plein de choses sur moi. Mais elle a été bienveillante envers moi. Elle m'a écouté », dit Téfeiri. Il leva les yeux. Pas vers Eshe, mais vers le ciel, en essayant de retenir ses larmes. « Elle m'a écouté quand je ne méritais pas qu'on m'écoute. On s'aimait, et ensemble, nous formions une famille. » Il essuya ses larmes. « Elle n'a perdu personne quand j'ai envoyé Zhalfir loin de Dominaria. Elle avait grandi sur la route, tout comme sa famille depuis des générations. Zhalfir n'était qu'une histoire à ses yeux. » Il grimaça. Ses prochains mots allaient lui faire mal au cœur, mais il avait besoin de s'entendre les dire.
« Je crois... », commença Téfeiri. Ces mots froids restèrent coincés en travers de sa gorge. « Je crois que j'ai laissé son amour me faire oublier la souffrance que je vous ai fait endurer. La souffrance que j'ai fait endurer à Zhalfir, notre foyer. Soubira a eu la grâce de m'accepter. Mais le fait qu'elle m'accepte, qu'elle m'aime... » Téfeiri secoua la tête. « Un tel amour sauve une âme, mais ne peut réparer mes actes. » Téfeiri mit ses mains dans la terre rouge, en tira deux poignées et la laissa s'écouler entre ses doigts. La couleur teinta ses paumes et la terre s'immisça sous ses ongles. Elle ne partirait jamais. « Elle est morte avant que je ne trouve un moyen de tout arranger. »
Eshe finit enfin de tourner sa lance, pointe vers lui. Elle se tenait à moins d'un mètre et Téfeiri pouvait l'arrêter d'un coup de main. Il n'était pas en danger. Pourtant, Eshe n'abandonna pas. Il essuya ses paumes sur la cape qu'on lui avait donnée, puis tendit sa main pour attraper la pointe de la lance.
« Je ne peux pas être pardonné, dit Téfeiri. Je peux seulement faire ce qui est juste. » Sa main empoigna la pointe qui lui coupa alors la paume. Son sang, rouge vif, coula le long de son bras avant de tomber goutte à goutte au niveau de son coude pour se mélanger à la terre. Zhalfir en lui, et lui en Zhalfir, et le prix à payer. « Je l'aimais comme j'aimais cette terre, dit-il. Et je veillerai à protéger Zhalfir des dangers à venir. Je le promets. C'est ma façon d'arranger les choses. »
Eshe pouvait-elle entendre la souffrance dans sa voix ? Coincée dans l'instant où elle essayait de tuer le destructeur de Zhalfir, un homme désespéré venant du futur qui lui disait que sa guerre ne prendrait pas fin ici. L'écho de sa propre expérience récente avec Urza ne lui avait pas échappé. Il se demanda si ces silhouettes sombres à l'extérieur du petit lac dans lequel ils avaient nagé étaient en train de les regarder à présent. Si leurs esprits vastes et insondables pensaient à ce moment. S'ils allaient pénétrer ici aussi et l'envoyer autre part.
Plus tard, pensa Téfeiri. Phyrexia, encore, d'abord.
« Eshe, je vais mettre fin à ce sort, dit Téfeiri. Mais tu dois me promettre de me laisser partir. » Il ne pouvait plus éviter que tout Zhalfir le reconnaisse. Tout ce que Téfeiri pouvait faire, c'était de gagner du temps avant que les autorités ne le traquent. Ce groupe était peut-être composé de bandits et de leurs prisonniers, mais apporter des nouvelles de son arrivée leur permettrait probablement de faire oublier tous leurs crimes, ou causerait assez de confusion pour qu'ils puissent profiter de l'agitation pour s'échapper.
Le gémissement d'Eshe ne cessa pas. Téfeiri relâcha la lance et se releva en regardant sa paume entaillée. Il fit quelques pas pour retourner là où il se trouvait quelques minutes auparavant, loin des caravaniers qui le tenaient et hors de portée de la lance d'Eshe. Il leva les bras pour concentrer une impressionnante lumière bleue , une canalisation brute de mana qui lui irrita le nez et fit se dresser les poils de sa nuque. C'était un croc prêt à mordre, le noyau crépitant d'un feu, quelque chose de profond et primitif qui n'était pas lié à un art, mais qui constituait un pouvoir brut et brûlant. Une démonstration de sa puissance, au cas où.
Téfeiri laissa le temps reprendre son cours normal.
Eshe acheva son cri de rage sur une note angoissée. Elle trébucha en reculant, éloignant la pointe de sa lance de lui. Téfeiri se débarrassa du pouvoir azur de ses mains, et le renvoya dans la terre.
« Merci, Eshe. »
« Va-t-en », dit Eshe. Sa peau sombre était humide de sueur, et elle était prise de haut-le-cœur suite à sa lutte contre la magie. Elle essaya de reprendre son souffle. Ses bras tremblaient.
Téfeiri leva les mains, paumes ouvertes vers elle. Eshe ne recula pas, contrairement à de nombreux caravaniers et gardes qui se précipitèrent derrière les chariots.
« Tu n'as plus rien à nous dire, dit Eshe. Va-t-en. »
Téfeiri hocha la tête. Il se leva doucement, avant de se reculer. Eshe ne le regarda pas. Elle fixait le sol où elle était assise, le sol où il avait pris des poignées de terre.
Téfeiri partit seul en descendant la route. Après un long moment, Eshe et sa caravane reprisent la route dans la direction opposée.
Autre part
Téfeiri dormit et rêva.
Il y a une grande chaîne d'événements, forgée dans des feux désormais lointains et éteints. Tout ce qui est lié à cette chaîne l'accompagne dans un renversement temporel. Il est impossible de voir ce que cette chaîne sera, on ne voit que ce qu'elle était. Téfeiri se souvint avoir essayé d'expliquer ce phénomène à Urza lorsqu'ils étaient partis. Toutefois, il était difficile d’articuler clairement la réalité. Il aurait peut-être pu mieux résumer ce phénomène avant de renoncer à son étincelle de Planeswalker pour la première fois.
La plupart des êtres parmi cette myriade de créatures conscientes à travers le temps et le Multivers n'ont pas le luxe de recevoir cette révélation ou d'en être témoins, et n'ont même pas la chance de modifier le cours de l'histoire comme ils l'entendent. Téfeiri avait renoncé à son étincelle avant de la récupérer ; le pouvoir dont il était doté était quasiment d'ordre divin. Le temps lui appartenait, et à lui seul.
Quoi qu'il en soit, cette chaîne a été fabriquée de toutes pièces par d'innombrables mains, et rares sont ceux qui se trouvent au bon moment de l'histoire pour y laisser leur marque. Plus on remonte cette chaîne, plus ces marques s'effacent. L'inverse est également vrai : plus on est proche des événements récents de cette chaîne, plus ces marques sont nettes. Ce sont les signatures de ceux qui ont forgé un lien, formé une connexion ou forcé une dérivation. Elles brillent et se refroidissent, comme si elles étaient serties dans le fer.
En plein rêve, Téfeiri baissa les yeux sur la chaîne cliquetant à travers tout son être. Il ne souffrait pas. C'était simplement une ligne infinie qui s'étirait, encore et encore, dans les profondeurs obscures du passé. Chaque lien portait son nom.
Zhalfir, des mois plus tard
L'eau de la rivière était fraîche et claire. Elle tenait cette fraîcheur agréable des petites montagnes de Teremko. Même s'il faisait de plus en plus sombre, la chaleur du jour ne faiblissait pas sur le vaste plan.
Torse nu et les pieds dans la rivière, Téfeiri se tenait au milieu d'une longue ligne d'autres travailleurs qui avaient retroussé leur pantalon au-dessus de leurs genoux. Ensemble, ils jetaient un filet en mailles fines sur toute la largeur d'un long coude peu profond de la rivière. Derrière le dernier pêcheur, le lit de la rivière gagnait en profondeur, jusqu'à l'autre rive où le courant creusait continuellement le terreau sablonneux. C'était leur dernier filet de la journée.
Les minutes et les heures se confondaient. Tous les moments étaient réunis en un seul : l'eau autour de ses jambes était le grondement lointain de la puissante rivière. Le courant doux était la corde rêche dans ses mains. Transporté par le rythme de la chanson que les autres entonnaient, il se joignit à eux. L'air qu'il fredonnait était l'air des poumons de ses camarades qui tiraient également la corde rêche, dos au courant, et qui, eux aussi, entendaient le grondement lointain de la rivière et ses doux remous.
Ils partageaient leur travail, leur temps. La beauté de cette rivière, ce travail simple, ce labeur effectué par de nombreuses mains, ce chant à l'unisson, les nombreuses mains sur ce filet fabriqué par des artisans adroits de leurs mains des années auparavant, le fait de lancer le filet pour attraper les gros poissons argentés de cette rivière claire et froide. L'espoir dans les mains qui avaient tiré les fibres, les doigts habiles qui avaient cousu ce filet, les bras bronzés par le soleil qui tiraient l'espoir à travers le temps. Un filet qui regroupait des centaines de vies en une ligne temporelle ininterrompue et la main d'œuvre qui faisait naître, à la fin de tout cela, la vie.
« Modeleur », appela la travailleuse à côté de lui. Tout le long de la ligne, avec la chanson en fond, des conversations se poursuivaient. Tout comme la rivière, la chanson contenait des tourbillons et des remous. « Quand la guerre éclatera, rejoindras-tu les forces armées ou resteras-tu ici, au village ? »
« Je resterai », dit Téfeiri. Il grogna en lançant le filet avec le reste de son groupe, une main après l'autre. « Mais je sers les intérêts de la reine. Là où elle me dira d'aller, j'irai. »
« Tu vis comme ces poissons, dit la travailleuse. Moi, je rejoindrai les akindjis avec mes sœurs quand la guerre éclatera. »
Téfeiri l'observa. Elle était jeune et portait des épaulettes pour renforcer ses épaules. Ce qu'elle avait appris avec ce travail guiderait sa lance et l'aiderait à bander son arc.
« Combien de sœurs as-tu ? »
« Trois, dit la travailleuse. « Neema, Kani, and Amana. »
« Et toi, tu t'appelles comment ? »
« Oyana. Et je sais qui tu es, dit Oyana. Tu es discret, mais tu n'as nul besoin de parler pour qu'on sache qui tu es. Tu devrais parler un peu plus. »
Téfeiri esquissa un sourire. C'était gentil de sa part de lui suggérer de parler plus, mais il avait l'impression d'avoir déjà bien assez parlé. Être silencieux, c'était être prudent. Le silence était sa pénitence.
« Les autres ont dit que tu étais venu dans notre village pour te cacher, dit Oyana. Kani m'a dit qu'on t'a craché dessus et qu'on t'a maudit quand tu es allé en ville. Je n'arrive pas à imaginer les belles personnes de la ville faire ça. Mais Kani dit aussi que les belles personnes de la ville parlent la bouche fermée. »
Téfeiri grogna. Il n'avait jamais remarqué cela.
« Ma sœur Neema était déjà au service du général Mageta quand la reine leur a demandé de se tenir prêts. Kani, Amana et moi avons dû rester ici pour travailler. » Elle jeta son coté du filet. « Désormais, nous sommes toutes assez vieilles pour nous battre et ce travail m'a rendue plus forte. » Oyana se leva et s'étira. « Quand nous reviendrons, je serai en première ligne, et je montrerai à tout Dominaria qui nous sommes et qui ils sont. »
Téfeiri se pencha pour continuer de tirer le filet.
« Zhalfir est prête », dit Oyana. Elle parla d'un ton ferme qui attira l'attention des autres travailleurs autour d'elle. « Je suis prête. Mes sœurs et mes frères sont prêts. Les Phyrexians ne feront pas le poids contre nous. »
Les autres travailleurs approuvèrent silencieusement, en grondant et en se levant avec le son de la rivière.
« Tu n'as donc aucune raison de te taire, dit Oyana au modeleur. Tu es le père de Zhalfir. Tu es celui qui a modelé nos croyances. Tu es celui qui a déplacé nos terres. Dis ce que tu as sur le cœur, Téfeiri. »
Sans rien dire, Téfeiri attrapa un autre bout du filet. Il travaillait, conscient du regard qu'Oyana et des autres travailleurs fixé sur lui, du soleil qui se couchait et de l'eau fraîche qui serait bientôt froide. Il pouvait sentir la colère monter dans les yeux de quelques travailleurs. Toutefois, la plupart d'entre eux étaient juste curieux et le regardaient comme on regarde une créature rare, majestueuse et dangereuse.
« Quoi ? », demanda Oyana. Même si les autres travailleurs étaient retournés au travail avec application, ce n'était pas le cas d'Oyana. Elle avait longuement regardé Téfeiri, en attente d'une réponse. Il ne savait pas si elle avait posé cette question parce qu'elle l'avait entendu, ou parce que sa voix, qui n'était pas sortie depuis longtemps, s'était noyée dans la rivière.
« Personne n'est prêt, répéta Téfeiri. Personne ne peut les arrêter. Pas même les plus braves. »
Oyana recula. Elle fronça les sourcils, regarda Téfeiri de haut en bas et secoua la tête. Elle partit.
Téfeiri se remit à la tâche.
En aval, là où la prise dansait et bondissait, la rivière se courbait. Elle emportait avec elle les hautes herbes et les immenses arbres, la terre et l'horizon. Des montagnes au loin captaient la lumière du crépuscule. Leurs crêtes flamboyaient malgré la fin de la journée, alors que leurs vallées étaient aussi sombres que la nuit qui tombait. Au-dessus, les nuages déchiraient le ciel dans des tons estivaux, riches et chauds. L'été battait son plein, il n'y avait nul plafond au-dessus du plan. Et au-delà du ciel s'étendait le vide. Un vide empyréen qui les cachait des terreurs au loin.
En levant les yeux, Téfeiri ne distinguait qu'à peine ce vide derrière le ciel, telle une pierre apparente sous une fine couche de peinture, comme si on n'avait pas encore terminé de le dissimuler. Il sourit. Téfeiri était chez lui.
Téfeiri et les pêcheurs retournèrent au village à la tombée de la nuit. Ils portaient sur leurs épaules le long filet enroulé, semblable au cadavre d'un immense serpent. Ils ramenaient leur prise du jour et éclairaient leur route avec des torches. Les conversations étaient rares ; à la tombée de la nuit, tous étaient fatigués de leur journée et ne pensaient qu'à manger, rentrer auprès de leur famille et se reposer.
Le village se confondait avec la terre. Les maisons de briques en terre cuite et les longs bâtiments communautaires aux toits végétaux étaient alignés de façon ordonnée. Des greniers à grains, des fours à céramique, des fumoirs, des forges à froid, des tanneries, des écuries : c'était une plaque tournante pour les agriculteurs, les pêcheurs, les chasseurs et les cueilleurs qui vivaient dans la région. Ce village était lui-même un satellite de la ville qui se situait à presque vingt kilomètres à l'ouest. Seul un bâtiment se démarquait du reste : un petit temple coiffé d'un dôme. La grande salle des croyances. Contrairement aux autres bâtiments et aux autres maisons qui se confondaient avec la prairie, la grande salle des croyances cherchait à être vue. Elle occupait une place centrale au milieu du village ; c'était un modeste temple dévoué aux cinq croyances de la magie, la foi et la philosophie qui guidait Zhalfir, et un havre de repos pour tous les voyageurs de Zhalfir, quelle que soit leur croyance.
Téfeiri pénétra dans le bâtiment. Il prit le temps de se laver les pieds dans les abreuvoirs carrelés qui se trouvaient à l'entrée de la grande salle des croyances. Un simple paravent séparait l'intérieur coiffé d'un dôme et l'entrée pour atténuer toute lumière et assourdir tout son venus de l'extérieur. Téfeiri sentit l'encens riche et légèrement sucré qui embaumait l'air. C'était du bois de puits zhalfirin qui se consumait dans le puits de mana au centre de la grande salle des croyances. Il ferma les yeux. Il se recueillit un instant. Il sentit sa douleur s'apaiser, et ses poumons et son cœur s'emplir à nouveau. Ils avaient été vides depuis si longtemps qu'il avait oublié qu'il était possible de les remplir. Il sécha ses pieds. Il contourna le paravent et entra dans la pièce principale.
La pièce sous le dôme formait un pentagone ; chacune de ses faces représentait une des cinq couleurs de la magie. À l'opposée de l'entrée se dressait un mur foncé avec une porte encastrée. Au-delà se trouvaient les modestes quartiers tenus prêts pour les membres des croyances. Un banc bas entourait la pièce. Il était en retrait de l'élément central : un bol en pierre large et peu profond accueillant un petit lit de braises de bois de puits qui se consumaient. Cette faible chaleur était la seule source de lumière dans cette pièce qui, sous le dôme, semblait vaste ; elle semblait plus large que ne le laissait penser l'extérieur du puits de mana.
Téfeiri marcha doucement et silencieusement jusqu'à sa place située à gauche de l'entrée. Il s'arrêta devant l'arche de la Croyance du modeleur, s'agenouilla pour attraper le bord du bol et posa son front contre ce dernier. Le bourdonnement du mana résonna en lui. C'était une sensation agréable qu'il connaissait bien, qui remonta le puits pour s'accumuler dans le grand bassin en pierre. Quelque part sous lui, autour de lui, en lui, se trouvait une ligne ley.
« Kaya, murmura Téfeiri. Est-ce que tu m'entends ? »
Rien. Les braises crépitèrent lorsqu'une bûche de bois de puits s'effrita.
« Je m'appelle Téfeiri Akosa. Je me fais sentinelle pour ceux qui ont disparu et qui ont été oubliés. Je suis le père de Niambi et le mari de Soubira. Je... » Téfeiri s'arrêta dans sa récitation. Il entendit un bruit qui provenait de l'autre côté de la pièce. Il regarda par-dessus le bord du bol et vit une jeune disciple qui fermait la porte derrière elle, avec soin. Elle portait une simple robe blanche qui indiquait qu'elle était une recrue de la Croyance civique ; c'était une soigneuse en herbe. Elle n'avait plus quitté Téfeiri depuis qu'il était arrivé dans le village, non pas pour apprendre, mais pour s'assurer qu'il ne se mette pas en danger.
« Adia », dit Téfeiri, pour saluer la disciple.
« Modeleur », murmura Adia. Parler plus fort au sein de la grande salle des croyances reviendrait à crier. « Tu es revenu. Tu as passé une bonne journée ? »
« J'ai passé une bonne journée, dit Téfeiri en se levant. On a attrapé une bonne quantité de poissons. Les fermiers vont peut-être se plaindre, mais on aura de quoi honorer la commande de la reine et il nous restera de quoi marchander. »
Adia hocha la tête. « Des soldats de Kipamu sont venus. Ils te cherchaient. »
« Quand ? »
« Peu après ton départ pour la rivière. Ils pensaient te trouver ici. »
« Est-ce qu'ils t'ont dit pourquoi ? »
« La guerre », dit Adia. Elle écarta les mains, paumes vers le plafond. Il n'y avait rien à ajouter. La reine avait ordonné que tout Zhalfir se mobilise. Les cinq grands sorciers et le général Mageta s'étaient rangés de son son avis. Un instrument parfait, un état logique et réfléchi, un peuple motivé à faire ses preuves et un plan à sauver. C'était clair et net. Un mythe qui n'attendait qu'à être écrit avec des places immenses recouvertes de socles vides qui n'attendaient qu'à accueillir des statues de ses héros, des murs vides qui n'attendaient qu'à être décorés avec des fresques de ses grandes batailles.
Cette allée, cette ville, ce garçon qui pleurnichait, tout ce sang, ces corps, le feu qui les consumerait, le moteur fait de vie et d'acier.
« Je leur ai dit que tu étais parti à la rivière, dit Adia. Et que tu serais de retour ce soir. »
« C'est trop gentil de ta part », grimaça Téfeiri.
Adia inclina sa tête plutôt que son corps entier.
« J'ai besoin de me laver et de manger avant tout, dit Téfeiri en passant devant la disciple et en se dirigeant vers sa petite chambre. Va trouver les soldats. Dis-leur que je serai là. C'est tout. Merci », dit-il en faisant un signe de main à Adia. Il n'attendit pas de voir si la jeune disciple était partie ; il avait besoin de manger, de se changer et de se reposer. Quand Adia ramènerait les soldats, il n'aurait peut-être plus le droit à un tel luxe.
Parler de soldats était un euphémisme. Téfeiri s'attendait à quelques akindjis qui suivraient des askaris de rang supérieur comme des canetons leur mère. Le groupe qui le salua lorsqu'il sortit de la pièce principale de la grande salle des croyances ressemblait davantage à un conseil de guerre. Une douzaine de sidars musclés vêtus de robes bleues et d'armures finement tannées l'attendaient. C'étaient des grands guerriers prêts à dégainer leur épée. Ils portaient de grosses fourrures sur leurs épaules et avaient un regard d'acier. Les sidars entouraient leur chef, un officier qui portait une armure en argent étincelant et qui tenait un casque avec des ailes rouges sous son bras.
« Planeswalker Téfeiri, hurla le général en ouvrant grand ses bras. Enfoiré, je t'ai enfin trouvé ! »
« Je ne suis que Téfeiri Akosa maintenant, Jabari », dit Téfeiri. Il esquissa un léger sourire, soulagé l'espace d'un instant. Si la reine avait envoyé son bourreau, au moins c'était un ami. « Ça fait longtemps. »
« Tant que ça ? », demanda Jabari en prenant son ami dans ses bras. Il tapa le dos de Téfeiri, le serra contre lui, puis se recula en prenant la nuque de Téfeiri entre ses mains. « Peut-être pour toi, précisa-t-il. Mais pour moi, pas vraiment. J'ai quelques cheveux blancs, mais pas autant que toi. » Jabari rit une nouvelle fois et le lâcha. « Tu es revenu, mais où est le reste du plan ? Nos marins disent toujours qu'il n'y a rien au-delà du rivage, et nos rôdeurs qui pénètrent la brume ne reviennent pas. »
« Zhalfir est toujours isolée, dit Téfeiri. Je suis désolé. »
« Ne commence pas. Arrête de t'excuser, dit Jabari. J'ai entendu dire que tu étais en pèlerinage pour faire acte de repentance. Ça doit être épuisant. » Il mit son cortège au repos d'un geste de la main et guida Téfeiri hors de la grande salle des croyances. « Le fameux mendiant qui a toujours une longueur d'avance. Reprends-toi. Tu es l'archimage de Zhalfir, et Zhalfir a besoin de toi. »
« La reine Wezna me tuera. »
« Tu n'as pas tort, acquiesça Jabari. Mais seulement une fois que tu auras aidé Zhalfir. »
« Je ne sais pas si j'en suis capable, dit Téfeiri. Je ne suis même pas sûr de pouvoir m'aider moi-même. »
« Comment ça ? »
« Je ne sais pas comment je suis arrivé ici. Je n'aurais pas dû pouvoir atterrir ici. Zhalfir est... »
Jabari réfléchit, les bras croisés, en rentrant son menton dans son torse. Il fronça les sourcils, fit quelques pas, puis s'arrêta pour faire signe à Téfeiri de le suivre.
Téfeiri et Jabari marchèrent ensemble, loin des askaris du général et de la grande salle des croyances. Autour d'eux, le village était animé par le bruit des chants, des rires et des cris de joie. La pêche avait été bonne, comme le pensait Téfeiri : ils avaient assez de poissons pour contribuer à l'effort de guerre et pour faire la fête.
« Il faut que tu saches ceci, dit Jabari tout bas. Mes askaris savent seulement que nous sommes venus recruter de nouveaux soldats et te chercher pour te ramener à la reine, mais ils n'en connaissent pas la raison. »
« Et ? »
« Tu n'es pas la seule personne de l'extérieur qui est venue ici. »
« Quoi ? »
« Zhalfir n'est pas aussi seule que tu le penses, dit Jabari. Mon vieil ami, c'est comme ça que tu vas nous aider. Viens avec moi à Aku pour rencontrer cette autre personne qui vagabonde comme toi. »
« Aku. » De vieux souvenirs lui revinrent en tête : les champs de piliers et les tombeaux, la vieille ville d'Aku au-dessus du bourbier fumant qu'était alors le grand marais d'Uuserk. « Ce n'est pas Kærvek ? »
« Non, répondit Jabari. C'est une femme à l'allure majestueuse. Nous l'avons emprisonnée dans l'ambre. Mais avant ça... » Jabari tendit à nouveau la main vers Téfeiri et lui tapota le torse en articulant chaque syllabe. « Elle a demandé à te voir. »
Une femme à l'allure majestueuse. Il en connaissait des tas. Kaya et Saheeli avaient-elles trouvé un moyen de traverser le vide et d'atteindre Zhalfir ? Combien de temps avait passé en dehors d'ici ? Ici, le temps s'écoulait différemment qu'à l'extérieur. Il était bien placé pour le savoir. Elles avaient peut-être reforgé l'Ancre, trouvé Karn, ou bien envoyé cette autre Planeswalker comme on l'avait envoyé lui, mais en s'assurant de pouvoir les ramener tous deux.
« Décris-la moi. »
« Elle est jeune, mais a des cheveux blancs, commença Jabari. Elle a une fine épée et porte une belle armure dorée. Les maîtres doctes disent qu'elle ressemble à une Madarane. Il y a ça, aussi. » Il regarda derrière Téfeiri et siffla à l'un de ses soldats, puis lui fit signe d'approcher. Le soldat, qui portait un objet enveloppé de tissu, s'exécuta rapidement. Il s'inclina et donna l'objet à Téfeiri et à Jabari.
Téfeiri prit le paquet. Il le déballa. À l'intérieur se trouvait un superbe chapeau à grand bord. Il était renforcé, brillant et laqué d'un ton doré et vert. Il était léger, mais solide, servant à la fois de moyen de défense et d'accessoire.
« C'est un étrange chapeau, mais il est utile pour voyager », dit Jabari.
« Et utile pour vagabonder », marmonna Téfeiri. Il reconnut la description de la femme. Ce n'était pas n'importe quel vagabond : c'était la Vagabonde. Une autre Planeswalker, ici, sur Zhalfir. Pas Kaya ou Saheeli, mais quelqu'un d'autre qui savait où le trouver.
« Quand devons-nous partir ? », demanda Téfeiri.
« Demain, répondit Jabari. Il faut qu'on se dépêche : la reine est déjà là-bas et elle attend impatiemment l'arrivée de son archimage. »
« Demain », répéta Téfeiri. Demain, ils partiraient pour Aku pour rencontrer la Vagabonde et découvrir le message qu'elle avait apporté. Quel était ce sentiment ? Téfeiri réalisa que c'était de l'espoir. De l'espoir, l'espace d'un instant, suivi par le murmure de la vérité qui lui fit froid dans le dos : c'était une révélation heureuse, mais pas une bonne révélation. Si Zhalfir se retrouvait de nouveau liée au Multivers, alors elle serait en danger.
Le lendemain matin, les sidars de Jabari s'étaient levés avant l'aube pour s'occuper de leurs chariots d'approvisionnement et de leurs affaires personnelles. Plus tard, lorsque le soleil commença à dissiper la brume matinale, une paire de nouvelles recrues, des jeunes enfin en âge de rejoindre les forces armées, se joignirent à eux. Téfeiri arriva avec ce groupe et le reste du village. Les pêcheurs étaient partis pour la rivière bien avant l'aube. Il ne restait plus qu'une population silencieuse de personnes âgées et d'artisans pour leur dire au revoir.
Le voyage allait être long : ils devaient traverser les plaines de Mtenda pour atteindre les plateaux rocheux qui bordaient le nord de Zhalfir. Dans sa jeunesse, Téfeiri connaissait des routes qui rejoignaient les immenses chaînes de montages de Teremko. Mais il supposa qu'ils suivraient une route à l'est pour longer la côte et traverser le littoral de la baie de Buleusi avant de reprendre la route vers le sud. À la fin de cette route se trouvait Aku, la ville-tombeau, nichée dans les marais d'Uuserk, loin de la lumière de Kipamu.
« Modeleur ? »
Téfeiri releva les yeux du sol et vit Adia, la disciple du puits de mana, qui approchait de lui avec un paquet d'étoffes.
« Je me suis dit que tu devrais prendre ça avec toi », dit Adia. Elle tendit le paquet à Téfeiri, l'air légèrement soucieuse.
« Qu'est-ce que c'est ? », demanda Téfeiri en prenant le paquet. Il le déballa et tint les robes devant lui.
« Les robes du Modeleur qui t'a précédé, dit Adia. Elles sont propres. J'ai raccommodé les trous laissés par les mites et les souris. Elles conviennent à ton statut. Et elles sont un peu ringardes, comme toi. » Elle haussa les épaules.
Téfeiri sourit. « Merci Adia. »
« Je vis pour servir la croyance », dit-elle d'une voix douce. Elle s'inclina, se redressa et plaça ses mains devant elle sans même jeter un regard à Téfeiri.
« J'ai une fille, Adia, souffla Téfeiri, en repliant les robes. Fut un temps où elle avait ton âge aussi. »
« Quoi ? »
« Tu sembles avoir autre chose à me dire. »
Adia hocha la tête.
Téfeiri finit de ranger les robes dans leur paquet, et donna à Adia le temps dont elle avait besoin.
« Si Zhalfir revient, ça veut dire que la guerre éclatera, dit Adia. Pour de bon. On aura fini d'attendre et de s'entraîner. Ce sera la fin de “Zhalfir l'esseulée“, et on sera de retour dans le monde réel. »
« C'est exact », dit Téfeiri.
Adia regarda autour d'elle, pour s'assurer que personne ne puisse l'entendre. Tous les autres étaient déjà en pleine conversation : les grands-parents discutaient avec leurs petits-enfants devenus grands, les nouvelles recrues s'empressaient de frimer auprès des askaris de Jabari et Jabari parlait à ses soldats. Ils avaient droit à un peu d'intimité au milieu du brouhaha ambiant.
« Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose que Zhalfir revienne dans le monde réel si c'est pour que la guerre éclate pour de bon », avoua Adia. Elle parlait rapidement et d'une traite, comme si elle crachait une pastille infecte qu'on l'avait forcée à garder dans sa bouche. « Il n'est pas bon de vivre dans l'incertitude, mais au moins, nous sommes en paix. La guerre du Mirage et la guerre kelde ont détruit des familles entières, et c'étaient des guerres civiles, entre des gens comme toi et moi. » Elle releva les yeux vers Téfeiri. « Je suis orpheline à cause de la guerre kelde. Je sers la Croyance civique à cause de ce que cette guerre m'a volé. Je pense que notre peuple voit cette guerre contre Phyrexia comme une épreuve. Une grande épreuve où ils pourront démontrer leur puissance et montrer à Dominaria où le soleil se lève. Je pense que nous avons perdu tellement de choses que nous ne pouvons pas nous imaginer perdre autre chose ; nous oublions ce que la guerre prend, même quand il n'y a plus rien à prendre. »
Téfeiri approcha d'Adia pour l'éloigner doucement du groupe. Les recrues étaient en train de faire leurs derniers adieux, et les sidars commençaient à se mettre en rang.
« Je suis terrorisée à l'idée de ce que cette guerre coûtera, continua Adia dans un chuchotement. Je suis morte d'inquiétude. Si nous perdons, il ne restera plus rien. Mais si nous gagnons, qu'arrivera-t-il ? » Elle fit un geste vers les sidars et les recrues. « Zhalfir a passé tellement de temps à attendre et à aiguiser ses armes que, lorsque nous vaincrons Phyrexia, nous nous rendrons compte qu'il n'y a qu'une seule chose que nous sommes capables de faire : la guerre. »
Téfeiri resta silencieux.
« Que devons-nous faire ? demanda Adia. Que dois-je faire ? »
« Téfeiri ! » Jabari l'appela en lui faisant signe. Il se trouvait à l'avant de la file qu'avaient formée ses hommes. « N'essaie pas de filer en douce une nouvelle fois, Planeswalker, ou tu vas servir de souffre-douleur pour entraîner mes troupes ! »
Téfeiri lui fit un signe de main en retour, et prit ses affaires. Adia n'avait pas bougé. La disciple attendait une réponse que Téfeiri ne connaissait pas encore. Au lieu de cela, il ne pensait qu'à une chose : à sa propre fille, Niambi.
Un jour, quand Niambi était encore jeune, ils avaient joué ensemble dans leur cour en l'absence de Soubira. Niambi courait en riant, libre, sans peur. Elle avait trébuché avant que Téfeiri ne puisse la prévenir de faire attention, et avant que Téfeiri ne le réalise, il l'avait figée dans le temps, au milieu de sa chute.
Il se souvint avoir marché autour d'elle, en essayant d'examiner chaque détail de cet instant figé dans le temps et en réfléchissant à chaque conséquence logique qui pourrait en découler s'il la libérait. Il aurait pu la garder dans cet état pour l'éternité s'il en avait eu envie. Et une partie de lui le souhaitait ; une partie de lui souhaitait la garder en sécurité, à l'écart du monde. Mais il avait rejeté cette sombre pensée. Il avait choisi un juste milieu entre la laisser tomber et la sauver : la rattraper.
Il ne pouvait pas les rattraper pour l'instant, mais il pouvait rester à leurs côtés.
« Certaines choses nous dépassent, au point qu'il n'y a rien que ni toi ni moi ne puissions faire pour les arrêter », dit Téfeiri.
« Pas toi, dit Adia. Elles ne te dépassent pas. Tu nous as envoyés ici pour nous protéger, alors garde-nous à l'écart. Protège-nous, protège Zhalfir. »
« Je ne peux pas. » Téfeiri secoua la tête.
« Mais tu l'as déjà fait ! »
« J'étais une personne différente à l'époque, dit Téfeiri. J'étais...
« Je ne comprends pas. »
« Nous ne sommes pas soumis au destin, dit Téfeiri. Seulement à notre passé. Nous n'avons pas toujours été des soldats. Nous n'avons pas toujours été seuls. »
Adia leva un doigt pour répondre, avant de s'arrêter. Elle se calma. « Puisses-tu arriver à destination », dit-elle. Adia n'attendit pas la réponse de Téfeiri et s'empressa de repartir vers le village. Téfeiri n'essaya pas de l'arrêter. Il la regarda passer entre les rangs des nouvelles recrues impatientes. Sa robe, blanche comme un nuage, disparut dans la foule.
Qu'avait-il pensé, quand Niambi était tombée ? Aucune réflexion ne pouvait ramener Zhalfir. Enfin, c'était par la réflexion qu'il avait réussi à revenir ici, pour finalement comprendre qu'aucune excuse ne réparerait ce qu'il avait fait. Ramener Zhalfir ne serait pas aussi aisé, car Zhalfir n'était pas qu'un nom sur une carte. C'était une nation, un peuple, une histoire, un futur, et rien qu'il ne puisse contrôler. Rien qu'il ne puisse sauver à lui seul, même avec toute la volonté du monde. N'était-ce pas là la preuve qu'il était un bon parent ? De savoir qu'il ne puisse rien faire d'autre qu'être présent pour son enfant quand ce dernier en avait le plus besoin ? Il leur avait fait du mal, mais il pouvait se tenir à leurs côtés désormais ; il pouvait leur apprendre à se préparer à la chute et les aider à se relever.
« Téfeiri ! »
« Jabari ! », cria Téfeiri en retour. Il attendit un instant. Il embrassa ses doigts, toucha son front avec ces derniers et plaça sa main sur son cœur. Un geste ancien. Une preuve de reconnaissance pour cet endroit, pour ce qu'il lui avait donné et ce qu'il lui avait appris.
Téfeiri partit avec les soldats et les recrues, en marchant à leurs côtés sur le long chemin qui menait à Aku.
Aku, des semaines plus tard
Le voyage jusqu'à Aku ne fut pas long, bien que semé d'embûches. Heureusement, avec l'aide de Téfeiri, Jabari et ses soldats arrivèrent à destination sans subir de pertes. Une fois en ville, Téfeiri et Jabari n'eurent le temps ni de manger, ni de se laver, car des coursiers vinrent les chercher.
Les halls d'Aku dégageaient chaleur et solennité. La présence de la reine exigeait qu'on accroche des tapisseries, qu'on déroule de somptueux tapis sur les sols brillants, qu'on remplisse les brasiers de bois de puits fumant et d'autres combustibles finement parfumés ; Aku était certes une ville-tombeau, mais ce n'était pas un endroit qu'on méprisait. Le lieu était autant décoré pour les vivants que pour les morts : les lignées royales de Zhalfir reposaient là, et la reine était venue à elles pour chercher inspiration, réconfort et accompagnement spirituel. La solennité n'était pas un signe de peur, mais de respect. De paix, pour canaliser au mieux la sagesse d'un peuple.
Cependant, ce sentiment de paix ne concernait pas toute la ville. Des perturbations d'énergie emplissaient les Tombeaux d'Ambre, où, gardés par de puissantes magies, se trouvaient les secrets obscurs du passé, ainsi que les plus anciennes et profondes sagesses que les ancêtres de Zhalfir avaient pu transmettre. On avait demandé des torches supplémentaires et des pierres luisantes pour bannir les ombres persistantes qui subsistaient dans les couloirs ; c'était en particulier le cas dans le dôme principal des Tombeaux d'Ambre, depuis lequel on surveillait les menaces les plus dangereuses pour Zhalfir.
Téfeiri et Jabari suivirent les coursiers à travers les couloirs sinueux du quartier central d'Aku qui menaient aux Tombeaux d'Ambre. C'était là-bas que la reine les attendait. Souvent accompagnés par des clercs de la Croyance du modeleur ou, de manière plus inquiétante, par des clercs de la Croyance civique vêtus d'armures, des tandems de gardes de la reine patrouillaient chaque recoin des les grandes rues étroites d'Aku.
« Ce n'est pas un déploiement normal. Je me trompe ? », murmura Téfeiri à Jabari en passant devant deux clercs qui les saluèrent.
« Pas du tout, marmonna Jabari. Quelque chose a dû se passer dans les tombeaux. »
« Peut-être que la reine repoussera mon exécution, dit Téfeiri. Je plaisante, je ne suis pas en train de supplier, ajouta-t-il. Que ce soit bien clair entre nous. »
Jabari grogna, sans sourire, et accéléra le pas.
Téfeiri et Jabari atteignirent les Tombeaux d'Ambre. Une foule de soldats et de clercs, armes au poing, se tenaient à l'entrée ; certains étaient tournés vers eux, d'autres vers l'extérieur. Deux officiers askaris d'une certaine ancienneté se disputaient à voix basse. Leurs voix sévères se répercutaient en un écho inintelligible dans dans le couloir.
« Askaris », dit fermement Jabari. Il parlait fort, mais ne criait pas. Sa voix portait au-dessus du bruit. « Que se passe-t-il ? La reine est en danger ? »
Les sidars cessèrent de se disputer, et se tournèrent vers Jabari.
« Kærvek s'est échappé », dit l'une des askaris. Elle était calme, mais on lisait bien la nervosité sur ses traits déjà tendus. « Sa prison s'est brisée. Le général est blessé, mais son état est stable. »
« Quand est-ce arrivé ? », demanda Téfeiri.
« Il y a une heure environ », dit l'askari en essuyant la sueur sur son front.
« Le général Mageta a été blessé il y a une heure ? », demanda Jabari, stupéfait, haussant le ton.
« Nous venons tout juste de le trouver, dit l'askari en levant une main pour essayer de calmer Jabari. Il a été blessé lorsque la prison de Kærvek s'est brisée, mais il survivra. Ses blessures sont graves, mais ne seront pas fatales. »
« Laissez-nous passer », ordonna Téfeiri. Ils n'avaient pas le temps de discuter.
Les gardes s'écartèrent. Téfeiri guida Jabari dans la pièce centrale du Tombeau d'Ambre, un vaste dôme sombre. Des appliques étaient enfoncées dans le mur à intervalles réguliers. De faibles lumières luisaient à l'intérieur. Elles étaient toutes vides, mais il était facile de deviner ce qu'elles renfermaient autrefois : des prisons d'ambre.
La pièce était ancienne. Les légendes faisaient mention d'obscures origines, de magies et de rituels obscurs que les ancêtres de Zhalfir avait pris le risque d'employer pour s'assurer que les prisonniers resteraient bien enfermés. Ils avaient suspendu un pendule de protection au sommet du dôme en guisede système d'alerte. Les érudits de Zhalfir rejetaient ces histoires qu'ils disaient être des mythes et des conjectures fantaisistes. Mais peu d'entre eux avait déjà pénétré dans le dôme central des tombeaux, et tous ceux qui l'avaient fait ne pouvaient nier la qualité troublante de cette pièce. Un silence enveloppait le dôme qui aurait pourtant dû résonner comme une salle de concert. En observant le pendule légèrement bruni, on était pris de la certitude que s'il bougeait d'un iota, une catastrophe se produirait.
Téfeiri découvrit avec horreur que le pendule s'était cassé et était tombé sur le sol lustré du dôme. Sa pointe était enfoncée dans le sol, et sa longue chaîne était enroulée autour comme le cadavre d'un immense serpent. Le sol, lustré au point de pouvoir voir son reflet à l'intérieur, s'était brisé sous l'impact. Un liquide sombre, probablement le sang du général Mageta, formait une flaque à côté du pendule, malgré les efforts d'une poignée de soldats pour le nettoyer.
La reine Wezna se tenait à côté. Elle discutait avec deux personnes. La première portait une robe bleu ciel, et l'autre une robe en velours noir. Une troisième personne, arborant une armure blanche, se tenait à l'écart, et examinait distraitement le pendule à terre et le sol brisé. Téfeiri ne reconnut aucune de ces personnes en robe. Il se doutait qu'il s'agissait des chefs de croyances. Cependant, la reine était facilement reconnaissable : elle n'avait vieilli que d'une dizaine d'années depuis leur dernière rencontre il y a de cela des siècles.
« Votre Grâce, appela Jabari en s'inclinant rapidement lorsqu'elle se retourna. J'implore votre compréhension. Nous arrivons tout juste... »
« Trois cent soixante ans », dit la reine Wezna en avançant vers Téfeiri. Elle ne criait pas : elle déclarait. Sa voix résonna dans le dôme. « Tu es parti pendant trois cent soixante ans, et nous nous battons toujours contre eux, dit la reine. Les Phyrexians menacent nos frontières, Kærvek s'est échappé et le général Mageta est blessé. » Elle s'arrêta à quelques pas de lui, suivie par les trois chefs de croyance. « Et te voilà de retour parmi nous. Il n'existe aucune punition assez grande et juste pour les crimes que tu as commis. Donne-moi une raison de ne pas mettre immédiatement à exécution la sentence qui t'attend. »
« Si vous me tuez, dit Téfeiri, ils gagneront. »
La reine inspira et expira. Puis elle hocha la tête.
« Sidar Jabari, dit la reine Wezna en s'adressant au vieil officier tout en continuant de regarder Téfeiri dans les yeux. Les Civiques ont un hôpital dans le quartier du pilier. Le général est en convalescence là-bas. Va le voir. Tu seras à la tête de l'armée jusqu'à son rétablissement. »
« À vos ordres, votre Grâce », dit Jabari. Il partit, et Téfeiri entendit le son de ses bottes qui se hâtaient sur la pierre lustrée.
La reine Wezna se tourna et revint près du pendule à terre, les mains croisées derrière son dos, en réfléchissant. Elle s'arrêta devant les trois mages de croyance, dos à Téfeiri.
« Ce n'est pas moi qui t'ai convoqué ici, dit la reine Wezna à Téfeiri. Je ne peux pas encore te faire traduire en justice pour tes crimes, qu'ils soient graves ou non, mais j'ai ma fierté. » Elle se retourna pour lui faire face. « Je ne t'ai pas convoqué ici. »
« Où est-elle ? », demanda Téfeiri.
La reine chercha dans sa robe, et en extirpa une petite babiole en ambre de la taille de sa paume qu'elle lui lança. La prison d'ambre rebondit sur le sol en pierre lustrée et glissa jusqu'à s'arrêter aux pieds de Téfeiri.
Téfeiri se pencha pour ramasser la prison et la pinça entre son index et son pouce. Il la mit devant la lumière pour illuminer la personne qui se trouvait à l'intérieur. C'était une guerrière en pleine attaque, petite, figée dans le temps, qui venait probablement de se transplaner. Téfeiri plissa les yeux et vit la détermination sur son visage qui se transformait en confusion. Elle ne fronçait plus autant les sourcils, elle avait la bouche ouverte, prête à poser une question ; ses yeux étaient grand ouverts tant elle était surprise.
La Vagabonde.
« Quand tu auras finir de la regarder, pose-la au sol », dit la reine.
Téfeiri s'exécuta. Il posa doucement la prison au sol et recula.
La reine Wezna claqua des doigts, et le chef de croyance vêtu d'une armure blanche avança. Il murmura un sort, subtil et sobre. La prison se mit à briller.
« Recule, archimage », dit-il en regardant Téfeiri à travers la lumière de plus en plus forte.
Téfeiri obéit et fit un autre pas en arrière alors que la prison commençait à faire des étincelles. Il protégea ses yeux, puis se retourna lorsque la prison s'ouvrit d'un coup dans un bruit sec suivi d'une courte expiration de la Vagabonde qui achevait son coup d'épée en poussant un cri de surprise.
La Vagabonde reprit ses esprit. Essoufflée, elle se remit en position de défense. Elle peinait à retrouver son sang-froid.
« Vagabonde, cria Téfeiri en levant les mains en l'air. C'est moi. »
« Téfeiri ? », hurla-t-elle. La Vagabonde regarda autour d'elle en restant sur ses gardes. « Où suis-je ? Depuis combien de temps suis-je ici ? »
« À Aku, répondit la reine Wezna. Sur Zhalfir. Tu es arrivée ici il y a un mois. »
« Un mois ? », répéta la Vagabonde. Elle baissa son épée. Elle regardait l'espace entre eux pour chercher quelque chose qu'elle seule pouvait voir. « C'est impossible... Téfeiri, tu as disparu il y a quelques jours seulement ! »
« L'Ancre n'a pas fonctionné », songea Téfeiri. Pourquoi ? La lithoforce de Serra, le potentiel d'un plan qui le traversait, quelque chose qui avait un lien avec le Sylex. Cet espace que lui et Urza avaient poursuivi après son explosion, tout ce potentiel devait aller quelque part, devait trouver quelque chose à quoi s'accrocher. La chance, le destin, ou un mélange des deux.
« Nous n'avons peut-être même pas une journée devant nous », murmura la Vagabonde. Sa silhouette vacilla, trembla. Elle était en train de disparaître de ce plan.
« Comment ça ? », demanda la reine Wezna.
« La menace de l'invasion de la Nouvelle Phyrexia se profile à l'horizon », dit la Vagabonde. Elle jeta un regard à la reine, puis à Téfeiri. « Notre attaque a été dispersée sur tout le plan, Nissa n'est plus là... Je crois qu'il est trop tard. Je ne pense pas que nous pourrons les arrêter. »
Sa déclaration leur fit froid dans le dos. Téfeiri recula, tendit une main derrière lui et s'assit au sol. Il mit sa tête entre ses mains. Autour de lui, les tombeaux se mit à grouiller d'action. La reine cria des ordres aux trois chefs de croyance, qu'ils transmirent à leurs attachés et à leurs lieutenants, qui partirent immédiatement,. La Vagabonde s'accroupit à côté de Téfeiri et essaya de lui parler de la bataille à la tour d'Urza, de l'attaque sur la nouvelle Phyrexia, de l'arbre qui était en train de pousser, du plan désespéré mis au point. Hélas, ses paroles saccadaient, hoquetaient, rarement cohérente. Elle disparaissait peu à peu à en raison de son étincelle instable.
Peut-être était-ce à cause de l'acoustique étrange de cette pièce en forme de dôme, ou peut-être était-ce un sort réconfortant qu'il avait lancé inconsciemment, mais tout s'effaçait, tout disparaissait, comme on enlève un manteau trop lourd qui nous pèse sur les épaules. Il entendit la voix de Jabari résonner dans sa mémoire. Arrête de t'excuser. Téfeiri enleva ses mains de son visage et regarda ses paumes. Il avait beau les avoir lavées maintes et maintes fois depuis ce jour-là sur la route, elles étaient toujours teintées de la terre rouge de Zhalfir. Il ne pourrait jamais se débarrasser de cette terre. Il ne pourrait jamais être seul.
Eshe, qui avait traversé les âges.
Oyana, qui affrontait le danger avec courage.
Adia, qui rêvait d'un futur sans guerre.
Soubira, qu'il avait aimée, et qui l'avait aimé.
Niambi, qu'il aimait, et qui l'aimait.
Zhalfir, aux côtés de qui il se tenait, lui, père des croyances, père d'une nation.
« Il n'est pas trop tard », dit Téfeiri en esquissant un sourire, l'air redoutable. Les incursions des Phyrexians dans tout le Multivers avaient éveillé quelque chose que leurs esprits mécaniques apprendraient à craindre : Téfeiri, qui leur montrerait que le soleil se lève sur Zhalfir.