Sea of Clouds
Mer de nuages | Illustration par : Sam Burley

Tandis qu’elle grimpait, Nahiri souriait. Le Fort céleste de Murasa s’imposait au-dessus d’elle, plus proche à chaque pas. Bientôt, toutes les souffrances de ce plan seraient réduites à néant. Avec le Cœur de lithoforme, elle effacerait le Roulis et rendrait à Zendikar toute la beauté et la tranquillité d’il y a des millénaires.

Comme dans son souvenir.

Elle remarqua la respiration haletante d’Akiri, Zareth, Orah et Kaza derrière elle, mais elle ne ralentit pas pour autant l’allure. Pas quand elle était si proche de son objectif.

Elle façonna plutôt de nouvelles marches, qui s’inséraient l'une dans l’autre à mesure qu’elle les grimpait quatre à quatre.

Ils grimpèrent au-dessus des arbres harabaz et des falaises de la baie des Déchirements, là où l’air froid sentait la pureté. Ils grimpèrent jusqu’à ce que les cascades des ruines détrempent leurs vêtements et rendent leurs pas plus dangereux. Ils grimpèrent jusqu’à ce que Nahiri puisse presque toucher les sculptures complexes des parties inférieures du Fort céleste.

Ce fut seulement alors qu’elle eut besoin de ses compagnons : les yeux perçants de Zareth, la ténacité silencieuse d’Orah, la capacité de réflexion de Kaza et les talents d’élingueuse de filin d’Akiri. Parce qu’autour d’eux, le Fort céleste flottait en différentes sections. Certaines étaient assez grandes pour des cascades, des arbres et des terrasses. D’autres étaient à peine plus larges que Nahiri. Des hédrons reflétant la lumière du soleil dérivaient dans les espaces séparant les ruines.

Nahiri plissa le front.

Elle avait créé ces hèdrons. Des siècles plus tôt, quand elle avait cru qu’emprisonner les Eldrazi sur Zendikar était la meilleure solution. Quand Sorin et Ugin avaient été à ses côtés, la rassurant de toujours être là quand elle aurait besoin d’eux.

Désormais, les hèdrons étaient éparpillés et inclinés selon des angles étranges, et Zendikar portait les profondes cicatrices de la rage des Eldrazi.

Tout sera rectifié bientôt, pensa Nahiri, les dents serrées. Elle continua d’avancer.

Plus ils montaient, plus le paysage devenait dangereux. Le soleil les aveuglait aux moments les plus inopportuns, les ruines grondaient et gémissaient sous leurs pas, et leurs appuis étaient mouillés et couverts d’algues. Nahiri n’arrivait même plus à déterminer quelles pierres pouvaient supporter leur poids et lesquelles étaient des alliées instables, paraissant solides et sûres jusqu’à ce qu’on pose le pied dessus. Plus d’une fois, un membre du groupe glissa et Akiri l’attrapa avec ses cordes ou Nahiri, avec sa lithomancie. Cela nécessitait des réflexes instantanés et, quand ils atteignirent enfin la ruine la plus imposante, tout le monde était nerveux.

« Où allons-nous maintenant ? » Demanda Akiri, arrivant à la hauteur de Nahiri.

Devant eux, le Fort céleste de Murasa était un labyrinthe de canaux vertigineux de calcaire taillé, aux crevasses remplies de mousse, où de dangereux ponts élancés traversaient des puits sans fond.

C’est alors que Nahiri comprit que ce Fort céleste était un piège mortel.

« C’est ce qu’on va découvrir », dit-elle, souriante. Elle voyait là un défi mortel que lui imposaient les anciens kor, ce qu’elle accepta sans sourciller.

Nahiri sortit la clé de sa poche. Elle luisait et pulsait dans sa main. Elle la brandit en direction des anciennes ruines.

Et celle-ci réagirent.

Sous leurs pieds, les pierres se mirent à briller et à vibrer en rythme syncopé avec la clé, tandis qu’autour d’eux, les pavés s’illuminèrent, se réorganisant et s’étirant en ligne droite pour s’enfoncer dans les ruines. Derrière Nahiri, Orah poussa une exclamation.

« Un chemin », dit Akiri, sa voix empreinte d’admiration.

« Oui, répondit Nahiri, mais faites tous attention où vous posez les pieds. Ce Fort céleste est ancien. Et il n’aime pas les visiteurs. » Zareth mit une main sur l’épaule d’Akiri, et celle-ci plaça une main sur la sienne. Orah échangea un regard avec Kaza.

« C’est noté », dit Kaza d'une voix enjouée.

Nahiri esquissa un sourire. De vrais aventuriers.

Ils suivirent le chemin de pierres éclairé en silence ; tous leurs instincts leur disaient que c’était une puissante magie ancienne qui les guidait. Zareth, le plus rapide et le plus silencieux du groupe, partait souvent en éclaireur. Il trouva des pièges empoisonnés et des arches prêtes à s’effondrer et découvrit des moyens pour eux de les contourner.

Ce n’était qu’une fraction des dangers présents dans le Fort céleste usé par le temps.

Au loin, ils entendaient toujours le fracas des hèdrons percutant l’antique forteresse. À l’ombre des colonnes et des crevasses, ils entendaient le crissement de griffes invisibles. Mais à chaque fois que les ombres devenaient trop envahissantes, Nahiri faisait crépiter un hèdron d’une énergie bleue qui les faisait reculer.

Mais exception faite de cet incident, la Planeswalker et son groupe d’aventuriers progressèrent sans encombre.

Comme si le Cœur désire être trouvé.

L’idée fit sourire Nahiri.

Le chemin se termina devant un mur massif couvert de dalles qui formaient un motif étourdissant de formes géométriques et de lignes. Au pied du mur, la route de pavés brillants s’éclaira une dernière fois avant de s’éteindre. Il n’y avait ni entrée, ni autre chemin visible.

« Et maintenant ? » demanda Zareth, croisant les bras.

« On pourrait le faire sauter », suggéra Kaza, sans cacher qu’elle espérait que ce serait le cas.

« Non », répondit Nahiri. Elle serra la clé contre sa poitrine tandis Qu’elle plaçait la paume de son autre main contre le mur. Elle ferma les yeux, ressentant les minuscules vibrations sous ses doigts. Dans la langue de la pierre — cette magnifique langue silencieuse — elle demanda, « Comment puis-je passer ? »

Le mur lui répondit en une variation de vibrations, lui indiquant la jointure entre les dalles et le sol. Elle suivit le mouvement invisible de la pierre jusqu’à un espace non carrelé juste au pied du mur.

Il avait exactement la taille de la clé qu’elle tenait.

Nahiri eut un large sourire tandis qu’elle insérait la clé dans la fente.

Elle émit des pulsations et brilla plus fort, illuminant les dalles et provoquant une réaction en chaîne qui éclaira tout le mur. Derrière elle, elle entendit les exclamations des aventuriers.

« Ouvre-toi », ordonna Nahiri en ancien kor.

Et le mur s’ouvrit. Il se replia dalle par dalle à partir du sol, comme une cascade inversée, avec un bruissement se répercutant dans les ruines.

Quelques instants plus tard, le groupe se trouvait devant l’entrée d’une grande caverne.

« C’est tout ? fit Kaza, visiblement peu impressionné. N’importe qui aurait pu faire la même chose. »

« Ceux qui peuvent lire les runes ou parler la langue oubliée des kor sont très peu nombreux », rétorqua Nahiri

« Sans compter que personne n’est aussi fou que nous pour tenter une telle escalade », ajouta Akiri. La kor souriait, ce qui surprit Nahiri car c’était la première fois qu’elle la voyait faire. Elle entra dans la caverne. « Venez. Allons récupérer ce trésor. »


Lithoform Engine
Machine lithoforme | Illustration par : Colin Boyer

Akiri ordonna à Orah et Kaza de monter la garde à l’entrée de la caverne. Elle savait qu’ils avaient jusque-là eu beaucoup de chance dans leur exploration. Mais elle était une aventurière et une élingueuse bien trop expérimentée pour s’attendre à ce que la chance continue longtemps.

Elle avait perdu son premier groupe d’exploration aux Eldrazi des années plus tôt. Elle refusait d’en perdre un second.

Être préparée, et rapide à agir. Elle ne pouvait rien faire de plus.

Ensemble, Zareth, Nahiri et Akiri traversèrent la caverne jusqu’à son centre, jusqu’à l’objet de toute leur convoitise.

L’objet qu’il était impossible d’ignorer.

Devant eux, sur une estrade surélevée, se dressait un monolithe de granit noir poli, se terminant en pointe, et scindé en deux en son centre. Des puits de lumière descendaient du plafond, inclinés en direction du monolithe, et des hèdrons tournaient autour de lui. Des crépitements d’énergie noire entre les hèdrons et l’artefact, ponctuaient le silence de la salle.

Tandis qu'ils approchaient, la partie supérieure du monolithe se souleva, révélant, entre ses deux moitiés, brillant comme un flambeau dans les ténèbres, le Cœur de lithoforme.

Pour Akiri, l’objet était assez décevant. Il était assez petit pour tenir dans sa main, mais assez grand pour qu’elle ne puisse pas entièrement l’envelopper de ses doigts. Il brillait comme une étoile miniature, mais il n’était pas sculpté.

Mais l’élingueuse avait appris depuis longtemps que parfois, les artefacts — ou les gens — les plus puissants avaient les apparences les plus modestes.

Akiri s’arrêta à quelques mètres de la plateforme, tendue et prête à agir. Elle prit la main de Zareth, trouvant un certain réconfort dans sa chaleur. Dans le Fort céleste, rien ne semblait stable.

Nahiri continua d’avancer.

Elle marcha jusqu’à ce qu’Akiri vit son visage se refléter dans le monolithe. La Planeswalker affichait une expression de pure détermination.

« Enfin, dit Nahiri dans un souffle. Cela va changer Zendikar pour toujours. »

À côté d’elle, Akiri sentit Zareth se crisper, toutes ses inquiétudes et ses peurs concernant le Cœur réunies en un seul mouvement involontaire.

Sans réfléchir, l’élingueuse approcha de l’estrade, avec l’intention de prendre l’artefact, sachant qu’il était probablement piégé. Zareth posa une main inquiète sur son épaule, mais elle lui adressa un hochement de tête rassurant et continua. Elle était presque certaine que si elle était suffisamment rapide et subtile, elle pourrait éviter de déclencher les pièges qui protégeaient la pierre.

Comme un avertissement, la lumière du Cœur se fit plus intense tandis qu’elle approchait. Elle crut entendre des murmures, comme des prières. Ou était-ce des menaces ?

Pour Zendikar, pensa-t-elle et, contrôlant ses nerfs, Akiri tendit la main.

« Attention ! » La main de Nahiri se referma aussitôt sur son poignet. Akiri se tourna vers elle. Les éclairs éclairaient son visage, et elle vit une étrange lueur, dangereuse, dans son regard. L’élingueuse n’avait rien remarqué de tel auparavant, pas même quand Nahiri avait affronté un piétineur dans la baie des Déchirements.

Des années d'utilisation de filins avaient appris à Akiri quand il fallait continuer. Et quand il valait mieux attendre.

Attends. Observe, pensa-t-elle, et elle fit demi-tour pour rejoindre Zareth. Elle lui prit la main. Il la serra dans la sienne.

Mieux vaut laisser l’artefact antique à l’étrangère ancestrale, pensa l’élingueuse, en partie soulagée de ne pas être sur l’estrade.

Retenant son souffle, Akiri observa Nahiri tandis qu’elle plaçait une paume sous le Cœur de lithoforme, qu’elle refermait ses doigts sur l’artefact et qu’elle le tirait lentement vers elle.

Image from Trailer – Nahiri reaching for lithoform core

L’espace d’un instant, il n'y eut que le silence, assez long pour qu’Akiri reprenne son souffle, qu’elle puisse à nouveau espérer.

Puis, un craquement assourdissant retentit et, autour des aventuriers, la salle commença à se désintégrer, à s’écrouler.

Fini la chance, pensa l’élingueuse. Elle se retourna et cria, « Nahiri, il faut qu’on sorte d’ici — tout de suite ! »

Devant elle, Orah et Kaza couraient déjà. Derrière elle, Nahiri dégringolait les marches de l’estrade, rangeant le Cœur dans une sacoche qu’elle portait à la taille. À côté d’elle, Zareth courait à la même allure qu’elle.

Mais elle sentit le sol trembler sous ses pas, et elle réalisa que ce n’était pas seulement le piège du Fort céleste de Murasa qui s’était déclenché.

Le Roulis secouait la terre et le ciel, et le Fort céleste s’effondrait. Peut-être réagissait-il à la magie soudain déchaînée. Peut-être était-ce juste de la malchance. Akiri n’en savait rien.

Devant elle, le sol se souleva telle une vague sous Orah et Kaza.

« Attention ! » s’écria-t-elle, mais un autre craquement sinistre engloutit son avertissement.

Le sol de pierre se souleva et se brisa, propulsant Kaza et Orah en arrière. Le sol s’inclina de plus en plus à la verticale, jusqu’à ce que la sorcière et le clerc durent se retenir par les doigts pour ne pas tomber.

Puis une autre vague secoua le sol. Kaza et Orah poussèrent un cri, perdant prise. Ils glissèrent et disparurent.

« Non ! » hurla Akiri. Elle se précipita, trop lente, trop tard pour les aider.

Un instant qui parut durer une éternité plus tard, loin au-dessous d’eux, Kaza apparut, soutenu dans les airs par son bâton magique, Orah accroché à sa taille.

L’élingueuse poussa un grand soupir de soulagement.

« Il faut continuer ! » cria Zareth. Mais elle n’était pas certaine que c’était à elle ou aux membres séparés de leur groupe qu'il s’adressait.

Les deux, pensa-t-elle, courant de plus belle.

La peur noua l’estomac d’Akiri. Autour d’elle, les structures se fracassaient et laissaient la place au firmament. Kaza et Orah allaient-ils s’en sortir indemnes ? Avait-elle conduit son groupe à la mort ?

Non, ils étaient tous expérimentés et talentueux. Ce n’était pas comme son premier groupe d’exploration. Ils s’en sortiraient.

Elle devait y croire.

Pour l’instant, elle devait se concentrer sur la sécurité de Zareth et de Nahiri.

Parce que la seule priorité, c’était de sortir du Fort céleste en vie.


Akiri, Fearless Voyager
Akiri, pérégrine intrépide | Illustration par : Ekaterina Burmak

Nahiri courut, tentant de maintenir l’intégrité des ruines avec sa lithomancie suffisamment longtemps pour qu’ils franchissent tous les ponts de pierre fragiles. La tentation de se transplaner à un endroit sûr lui traversa l’esprit. Mais non, elle n’abandonnerait pas Zendikar alors que le plan avait besoin d’elle. Le Fort céleste de Murasa était une épreuve qu’elle relèverait.

Dans sa sacoche, elle crut entendre le Cœur murmurer, mais la Planeswalker n’avait pas le temps de l’écouter.

Sans l’artefact, le Fort céleste s’effondrait. Et le Roulis, ce fichu Roulis, déchaînait les vents autour d’eux, ce qui rendait une situation déjà dangereuse mille fois plus chaotique.

Elle ne pouvait pas garder intact le Fort céleste de Murasa et retenir le Roulis en même temps.

Du moins, pas encore.

Alors, elle courut derrière Akiri et Zareth, la rage lui brûlant le ventre.

Ils se retrouvèrent dans une impasse. Devant eux, des îles de ruines couvertes d’arbres flottaient, séparées par le ciel et quelques hèdrons. D'un geste maîtrisé, Akiri lança son filin, qu’elle accrocha à un parapet à la dérive.

Image from Trailer – Akiri Zareth Nahiri dead end

« Vite ! » dit-elle avant de s’élancer vers l’énorme plateforme inclinée au-dessous d’eux. Zareth lança une autre corde, et Nahiri prépara la sienne, mais un grand vortex tourbillonnant de vents au loin attira son attention.

Son hésitation momentanée dura trop longtemps. Avant que Zareth ou elle ne puisse sauter, le Fort céleste trembla et se souleva à nouveau.

Nahiri essaya de garder son équilibre tandis que la plateforme où se trouvait Akiri s'éloignait d’eux.

« Dépêche-toi », s’écria Zareth, lui tendant le bras. Et la Planeswalker réalisa qu'ils allaient devoir sauter ensemble.

Elle songea à refuser. Ce retors, qui se méfiait d’elle, pourrait bien la laisser tomber. Mais malgré son attitude, elle savait que Zareth avait suffisamment d’honneur pour ne pas tuer quelqu’un de sang-froid.

Nahiri se saisit de la corde à côté de l’ondin et, alors qu'il s'apprêtait à s’élancer, elle lui murmura à l’oreille, « Je sais que tu veux récupérer le Cœur. »

La surprise lui traversa le visage, mais avant qu'il ne puisse répondre, Nahiri ordonna à la pierre sous leurs pieds de les pousser dans le vide.

L’espace d’un instant, retenant sa respiration et échappant à la gravité, Nahiri ne vit plus que le ciel. Vaste. Implacable.

Puis ils atterrirent sur la plateforme. Nahiri roula au sol. L’expression de Zareth se changea en pur soulagement quand il vit Akiri. Elle l’aida à se relever et adressa un court signe de tête à la Planeswalker.

Ils se remirent à courir.

Le bruit était assourdissant. Les rafales de vent leur cinglaient le visage et le Fort céleste s’effondrait autour d’eux. Les délicates passerelles de lierre s’écroulaient, et les hèdrons tournoyaient dans tous les sens, les manquant de peu.

C’était Zendikar dans sa forme destructive, dangereuse et cauchemardesque, et Nahiri la haïssait.

Mais elle continua de courir, d’esquiver les gravats, de fuir.

Jusqu’à l’apparition du vortex.

Il se forma brusquement dans un trou de la ruine flottante. Tel une tornade, il emportait tout dans son sillage. Quelques secondes auparavant, Zareth s’était posé sur un contrefort de l’autre côté du vide. Nahiri ne le voyait plus. Akiri marqua une pause, corde en main, tandis que le tourbillon de pierre et de poussière redoublait d’intensité autour d’eux.

« Pars ! » s’écria Nahiri. Avec un signe de tête, Akiri glissa le long de son filin.

La Planeswalker se retourna, jambes écartées, bras tendus. Elle fit une grimace et se prépara à affronter le vortex.

Image from Trailer – Nahiri facing the vortex

Je vais te plier à ma volonté, pensa-t-elle. Comme elle l’avait fait avec le Roulis à Akoum, comme elle l’avait fait avec Sorin et tant de ses ennemis dans le passé. Tendant les doigts, elle canalisa sa rage et sa culpabilité dans sa magie.

Peu à peu, le vortex ralentit, puis s’arrêta, ne devenant plus qu’un phénomène immobile et sans défense.

Nahiri sourit, victorieuse.

Mais son triomphe fut de courte durée. Le vortex enfla à nouveau. Tel un barrage sur le point d’exploser, il contenait tant de colère et de force qu'il repoussa Nahiri jusqu’à ce qu’elle ne pût plus le contrôler.

Et la kor fut projetée du contrefort de la ruine.

Autour d’elle, il n’y eut plus que le ciel, froid et bleu. Nahiri se contorsionna et vit la corde d’Akiri à quelques centimètres. Elle tendit la main.

Et la manqua.

Elle tombait en chute libre.

Le cœur de Nahiri se figea dans sa poitrine tandis qu’elle concentrait toute la puissance qui lui restait pour stopper sa chute. Jusqu’à ce que quelque chose la rattrape par le bras.

« Je te tiens ! » haleta Akiri, souriante. Avec l’aide de Zareth, elle hissa Nahiri sur la plateforme.

Les joues de la Planeswalker étaient rouges de honte. « Sortons d’ici », dit-elle, façonnant les ruines pour former un pont, Sur lequel elle se précipita. Derrière elle, le grondement de chaos et de destruction s’intensifiait toujours.

Nahiri serra les dents. Elle savait maintenant que sa lithomancie ne suffirait pas pour guérir Zendikar.

Le Cœur rangé dans sa sacoche murmurait à nouveau, mais elle ne l’écoutait pas. Elle courait, et elle réfléchissait.


Cinderclasm
Cendroclasme | Illustration par : Campbell White

Nahiri atterrit sur une large partie du Fort céleste de Murasa encore intacte, suivie de près par Zareth et Akiri. C’était le premier endroit qu’ils atteignaient qui ne s’écroulait pas et qui ne tremblait pas. Alors il fallut un instant à Nahiri pour comprendre ce qui clochait.

Pourquoi y a-t-il de la lave ici ? pensa-t-elle, perplexe. Puis elle comprit enfin : le Roulis avait transformé le paysage du Fort céleste, comme il l’avait fait à tant d’endroits du plan. Nissa avait dit que le Roulis avait commencé en réaction à la présence des Eldrazi, comme une défense naturelle de Zendikar. Et il semblait aujourd’hui que c’était elle que le plan essayait de combattre.

Et il appelle ça un combat ? renacla Nahiri.

Le sol sous elle explosa dans une gerbe de feu et de cendres. Nahiri fut projetée en arrière, et un immense élémental enragé jaillit à son tour, comme s'il était né de la lave. Son torse et ses poings massifs irradiaient de chaleur et de flammes crépitantes tandis que ses yeux de charbon ignescents la fixaient intensément. C’était un regard de pure haine.

Nahiri tendit une main derrière elle, et l’instant d’après, une brillante épée de pierre apparut entièrement formée dans sa paume. Si cette chose voulait la bagarre, elle allait lui en donner une. Avec joie.

Mais Zareth fut plus rapide. Courageusement, il chargea l’élémental, trident à la main Un arc d’énergie jaillit de l’arme et enveloppa la créature, la frappant en pleine poitrine.

L’élémental ne parut même pas le remarquer. Il tourna son regard calme sur Zareth, leva ses deux poings incandescents, puis les abattit sur l’ondin.

Mais, rapide comme l’éclair, Akiri s’interposa, bras levé, un disque lumineux apparaissant de son gantelet pour servir de barrière entre elle et le monstre. L’élémental abattit ses deux poings sur le bouclier magique. Akiri grogna et s’écroula sous l’impact. La créature gronda de rage et leva à nouveau les poings.

Nahiri vit Akiri et Zareth se préparer pour une autre attaque, mais elle savait qu’ils n’y survivraient pas.

Tout en serrant son épée dans une main, Nahiri créa de l’autre une colonne de terre qui la souleva dans les airs. Elle entendit à peine le murmure du Cœur quand elle le sortit de sa sacoche.

Le brusque mouvement détourna l'attention de l’élémental, qui oublia ses deux victimes prostrées et fixa la Planeswalker. Ou du moins, le Cœur qu’elle tenait en main.

« C’est ça que tu veux ? » cria Nahiri.

L’élémental gronda et approcha d’elle, les poings serrés.

Nahiri brandit son épée, mais elle savait que ça ne suffirait pas. Elle n’avait pas la force de résister à cette abomination créée par le Roulis. Elle baissa son arme et contempla le Cœur de lithoforme.

Peut-être ? songea-t-elle.

Le Cœur chuchotait toujours, mais elle ne parvenait pas à comprendre ce qu’il disait.

Cependant, les mots importaient peu. Les actes allaient prévaloir dans cette situation.

Elle entendit Akiri crier, et elle se tourna dans la direction du son. Zareth courait vers le monstre Non, réalisa-t-elle, il se précipitait vers elle, son trident crépitant d’énergie prêt à l’attaque, le visage déterminé.

>Au même instant, l’élémental rugit et chargea Nahiri.

Image from Trailer – Nahiri facing the elemental

C’est alors que la Planeswalker prit sa décision.

Elle brandit le Cœur devant elle et, sans effort, canalisa sa puissance.

Soudain, le monde devint noir. Puis blanc. La couleur laissa la place à la lumière, les sons furent engloutis par un grondement et, l’espace d’un instant, il n’y eut plus rien. Nahiri n’entendait rien Ne voyait rien.

Ne sentait rien.

Son monde était pur.

Lorsque la lumière du Cœur s’estompa, tout ce qui entourait la Planeswalker était gris. Il n’y avait plus que le silence, et l’élémental avait entièrement disparu.

Nahiri sourit, victorieuse. Elle avait gagné.

La voix paniquée d’Akiri brisa le silence. « Zareth ! »


Wasteland
Terres dévastées | Illustration par : Adam Paquette

Akiri était agenouillée, tenant le corps froid et rigide de celui qu’elle aimait. Elle ferma les yeux et les rouvrit, espérant contre toute attente que ce fût une erreur, une plaisanterie cruelle Il ne pouvait en être autrement.

La main de Zareth était crispée comme s’il tentait d’attraper quelque chose. Sa bouche était figée dans un cri silencieux Mais ce serait son regard qui hanterait les rêves d’Akiri pendant des mois à venir.

Son regard, pourtant toujours brillant et rempli d’émotions, était terne et sans vie.

« Zareth. . .» gémit Akiri, serrant le corps de son ami, de son amant, contre elle. C’était impossible. Impossible. . .

Elle sentit l’ombre de Nahiri la couvrir. Elle vit que le Cœur de lithoforme était par terre, dans les cendres, à une courte distance d’elle.

Nahiri fit mine de le ramasser, mais l’élingueuse fut plus rapide. L'instant d’après, Akiri était debout, l’artefact dans ses mains, reculant face à l’ancienne kor.

« Qu’est-ce que c’est que cette. . .chose, Nahiri ? » demanda-t-elle. Dans sa main, le Cœur était chaud, luisant d’une couleur rappelant un ciel dégagé.

« Terminé les tempêtes, terminé les désastres », déclara Nahiri d'une voix étrangement calme et raisonnée. Elle approcha « Terminé les monstres cauchemardesques. Il faut saisir notre chance ! »

Akiri contempla la destruction qui les entourait, le cadavre gisant au sol. « Notre chance ? »

Nahiri ne répondit rien. Elle fit un autre pas. Puis un autre.

Akiri recula, chancelante, consciente que seul le vide se trouvait derrière elle.

« Et la chance de Zareth ? s’écria-t-elle, pointant le cadavre du doigt. Non. Nous devons en finir maintenant. » Elle ne pouvait pas laisser Nahiri l’atteindre. Elle ne pouvait pas lui permettre de récupérer le Cœur.

Zareth avait eu raison à propos de la kor. Il avait eu raison.

Nahiri continuait d’avancer. La peur serra le cœur brisé d’Akiri. Lorsqu’elle sentit le rebord de la plateforme à ses talons, elle s’arrêta.

« Non », dit-elle, tenant le Cœur au-dessus du vide, prête à le lâcher, à se libérer de cet horrible trésor.

Mais le regard de Nahiri était fixé sur un point derrière elle. Akiri se retourna. Un hèdron arrivait à sa hauteur, à portée de filin. Il lui suffirait de lancer une corde. . .

L’hèdron se mit à crépiter d'une énergie noire qui l’enveloppa, et l’élingueuse se retrouva paralysée. Dans l’incapacité de bouger, elle vit Nahiri approcher.

Elle était tout près.

Image from Trailer – Akiri Frozen

Calmement, la Planeswalker lui prit le Cœur de lithoforme des mains.

Puis elle caressa la joue d’Akiri. Ce fut seulement alors que la kor réalisa que son visage était baigné de larmes.

« Je suis navrée, Akiri. Vraiment », dit Nahiri, et elle semblait sincère. Mais son regard ne reflétait que la détermination et la dureté.

Akiri voulut crier, mais sa voix était perdue. Elle voulut utiliser ses cordes, mais ses muscles refusaient de coopérer. Elle était sans défense. Nahiri posa une main sur son épaule. Et elle poussa.

Akiri tomba en arrière.

En chute libre.

La dernière chose qu’elle vit, c’était Nahiri, avec une lueur froide et calculatrice dans le regard, et le Cœur flottant au-dessus de sa main tendue.

Puis elle ne vit plus que le ciel. Infini et cruel.

Image from Trailer – Nahiri looking down at Akiri