Histoire précédente : Toutes les histoires ont une fin

Jace et Tamiyo ont suivi un chapelet d’indices jusqu’à la cathédrale de Thraben, fief de l’ange Avacyn, en proie à une folie meurtrière et destructrice. Celle-ci a assailli les deux Planeswalkers, et un terrible combat s’en est suivi. En l’occurrence, le mage de l’esprit n’est pas parvenu à juguler la puissance divine de l’ange, et la lunaréenne, quant à elle, refuse de revenir sur une promesse qui lui sauverait pourtant la vie. Avacyn est ainsi sur le point de les anéantir tous les deux.


Les deux esprits malins tremblent à mes pieds, recroquevillés sur les dalles de la cathédrale. Ils détournent les yeux, indignes de soutenir mon regard.

Ils ne sont certes pas de ce monde, mais ils n’en sont pas moins faits de chair et surtout de sang : je perçois les battements de leur cœur à leur gorge, sous la pointe de ma lance. D’un simple geste, je vais confondre ces deux démons, les vouer aux abysses dont ils ont surgi, et purifier le monde de leur vile présence.

Car je suis Avacyn. Je suis la protectrice.

L’une des deux créatures, celle qui porte une cape bleue, implore ma clémence ; à chacune de ses paroles, des lombrics se déversent de sa bouche : « Avacyn, tu n’es plus toi-même ! insiste-t-il, tenant sa tête entre ses griffes. Ne fais pas cela ! » Ses pauvres adjurations dégringolent de sa bouche et détalent dans l’ombre telles des scolopendres.

Bien plus encore que ma lance, ma vue constitue ma meilleure arme ; mes yeux perçoivent davantage que ceux des humains, et même que ceux des autres anges, mes sœurs. Dans les vitraux, je vois les hérauts angéliques s’incliner devant moi par respect. Je vois la lumière de la lune qui toujours me suit dans mes voyages, même ici, dans la cathédrale, et les colombes emplumées de blanc qui s’envolent à chaque fois que mes pieds foulent le sol. Mais surtout, je vois cette gelée frémissante derrière chaque visage, ces mensonges révoltants dissimulés sous des oripeaux humains.

Moi seule existe pour les illuminer de justice.

« Tu es souffrante, ou mal informée », dit l’autre créature, ses longues oreilles rabattues en arrière. Derrière ses orbites vides, je ne distingue qu’une masse de crin noire et grouillante. « Tu es là pour protéger tes peuples, et non pas agir de la sorte ! »

Je tends la main dans sa direction, paume ouverte, et un flot de ma lumière la projette en arrière. Elle percute le mur en toussant, et les sons qui s’échappent de ses lèvres se transforment en longues vibrisses charbonneuses et enchevêtrées.

« Je suis le rempart qui protège des démons d’outremonde, asséné-je, pointant vers elle ma lance, et ses deux extrémités se recourbent tel un doigt accusateur. Je détruis le mal, quelle que soit son origine et sa forme. Je vous ai vus rôder dans mes provinces, vous insinuer dans mon église, mais, désormais, je vous connais pour qui vous êtes, et vous devez m’en répondre ! »

J’invoque la lumière, et elle m’obéit. Un scintillement glacé se manifeste dans ma main, et l’ombre de mes doigts recouvre les démons tremblants. « Vous ne corromprez plus Innistrad ! »

Du bruit sur le toit ! Je lève les yeux, et le vitrail de la toiture explose sous l’impact de deux pieds qui le traversent, ceux d’un homme. Une pluie de tessons colorés s’abat dans la cathédrale. Le verre rebondit sur ma peau tandis que les démons se protègent la tête.

Illustration par Wesley Burt

L’individu atterrit devant moi, sans même s’accroupir pour absorber l’impact, épée au clair. Il se redresse ; des éclats de verre crissent sous ses bottes. Il est parfaitement indemne, sa chevelure blanche à peine en désordre.

Clue Token
Jeton Indice | Illustration par Franz Vohwinkel

C’est l’un des buveurs de sang, un aîné qui plus est. Je le reconnais, mais son nom m’échappe encore.

« Hors de mon chemin, vampire ! crié-je. Ton tour viendra assez tôt ! »

Il persiste pourtant à s’interposer. Ses armes sont déjà parées : une flamberge dans une main, un sort dans l’autre.

« Tu es malade, Avacyn », répond le vampire. Sa bouche ressemble au suçoir d’une sangsue, ses paroles déformées par une rosace de crocs sanglants. « Je suis ici pour t’aider. »

« Ne tente pas de retenir ma lance, suceur de sang, ou tu y goûteras, toi aussi ! »

Son nom m’échappe, mais je le vois tel qu’il est vraiment. Son visage n’est qu’une masse vibrionnante de sangsues qui ondulent sous sa peau. Il pue le sang.

Il ose s’adresser à moi : « Avacyn, tu dois m’accompagner dans la crypte. Tu comprendras la tâche qui m’échoit, et avec un peu de patience… »

« Ma mission n’attend rien ni personne », rétorqué-je. Ma sainte magie le frappe en pleine poitrine.

Le vampire ne bronche pas.

« Avacyn, répète-t-il. Allons dans la crypte, nous avons affaires à régler, tous les deux. »

La créature aux orbites creuses s’adresse au vampire en l’implorant : « Sorin, tu sauras la guérir, n’est-ce pas ? »

« Silence ! » explose-t-il, et les deux démons tressaillent à la puissance de sa voix. Il se retourne vers moi. « Écoute-moi, si ces deux-là t’ont causé du tort, libre à toi de les tuer avant que nous ne commencions. »

Les deux démons échangent un regard inquiet.

« Cependant, je ne te laisserai pas quitter ces lieux tant que notre problème ne sera pas réglé. »

Dans les chevrons de la charpente, au-dessus de nous, j’entends un bruissement d’ailes. Aussi nobles et ardents que les étoiles de minuit, les yeux d’une douzaine de mes anges nous surveillent.

Je me surprends à m’interroger : un ange est pétri de vertu, mais cette qualité procède-t-elle de ses actes ? J’ignore pourquoi cette question me vient soudain à l’esprit.

« Je te préviens, vampire ! dis-je, ces envahisseurs représentent une terrible menace pour Innistrad, mais tu cours le risque de devenir à mes yeux un plus grand mal encore. Disparais donc, ou, de ma milice angélique, je te broierai ! »

Il ose me défier en avançant d’un pas vers moi. Je le foudroie alors de ma lumière ineffable, mais, une fois de plus, le sort n’a aucun effet sur lui. Il incline la tête sur le côté, son regard semble presque prévenant à mon endroit, mais ses crocs de sangsue me narguent. Je perçois un rire. Un doute s’insinue en moi, non que l’on puisse me vaincre, mais que j’aie pu hésiter à l’instant où j’ai lancé le sort. Me serais-je involontairement retenue ? Je ne comprends pas comment ce pourrait être possible.

J’entends les ailes des anges perchés sous la charpente, je sens leurs regards constellés posés sur moi. Baignée de leur lumière, je me redresse. Tandis que je lève la pointe de ma lance vers le vampire, celle-ci s’incurve en une lame de justice.

Le vampire fait un nouveau pas en avant. Sa poitrine est tout contre l’estoc de ma pertuisane. « Avacyn ! dit-il, la bouche sanglante, tu ne saurais me nuire. » Il tend la main vers moi. « Et ce n’est pas sans raison. »

Les mots qu’il prononce ensuite sont comme un camouflet. Ce ne sont que des bruits, des vibrations. Pourtant, ils m’entaillent la peau comme le dépeçoir d’un boucher, me brûlent comme le fer rouge d’un inquisiteur.

« Je suis ton créateur », décrète-t-il.

Ces paroles me paraissent lointaines, comme gravées en moi mais enfouies sous la poussière des siècles. À cet instant, pourtant, cette concrétion s’envole et je le vois tel qu’il est réellement.

C’est Sorin, de la lignée des Markov, qui se tient devant moi. Sa bouche n’est pas ronde telle une sangsue, et j’ignore pourquoi je me le figurais ainsi. Ses yeux noirs aux iris blancs et ses hautes pommettes ne sont pas si dissemblables aux miens.

Il est mon créateur. Cette vérité est désormais irréfragable. En lui, je vois mon reflet.

Il est la raison même de mon existence. Il était là à ma création ; c’était lui qui se tenait au-dessus de moi à l’instant où j’ai pris forme. C’est lui qui m’a confié ma mission, et cela s’est passé ici, dans la crypte même de cette cathédrale. Je sais à présent qu’il m’a créée, moi, la divinité d’Innistrad, dans un but, un seul.

Je suis Avacyn. Je suis la protectrice.

Ma raison d’être est d’annihiler les menaces qui pèsent sur Innistrad, de répondre aux prières des innocents et de détruire leurs tourmenteurs, de protéger ceux que voudraient dévorer les ombres de ce monde.

« Tu es mon créateur », concédé-je.

« Si fait. »

« Alors tu dois être probe », dis-je.

Le doux sourire de mon créateur laisse à peine apparaître ses crocs.

« Tu es la source de mon être et, par conséquent, de la vertu. »

« C’est exact, Avacyn. Et pour retrouver toi-même cette vertu, tu dois me rejoindre. Viens ! » Il me tend la main, mais une hésitation m’empêche de la prendre.

Je contemple les deux individus que j’ai combattus ce soir, adossés à un mur de la nef. Ils m’apparaissent toujours comme des démons, mais aussi comme une femme et un homme, simplement : des mages, des mortels.

Leur sang a coulé dans ma cathédrale, je sens son odeur cuivrée sur ma lame. Néanmoins, tout cela n’est possible que s’ils sont nuisibles ; si je les ai frappés, alors ce sont fatalement des monstres ! Un ange est pétri de vertu, mais cette qualité procède-t-elle de ses actes ?

Mon créateur m’observe, son regard impavide scrute mon visage Je perçois son pouls sous la peau pâle de son cou, la veine battant du sang chaud d’autrui.

Je suis Avacyn. Je suis la protectrice.

Pourtant…

Un tourbillon d’images m’assaille.

… je…

Des villages en flammes.

… ne les ai…

Des innocents massacrés.

… pas…

Une mère, pleurant son enfant.

… protégés.

J’ai bouté ces incendies, massacré ces innocents. J’ai été créée pour protéger, pour défendre, et pourtant, c’est la protectrice que je suis la responsable de toute cette destruction. J’étais de surcroît un symbole. Une Église toute entière s’est ainsi construite autour de moi, mais elle a aussi fomenté une haine fanatique, et mon pouvoir a attisé ces flammes de fiel.

Qu’est-ce que la vertu ? Procède-t-elle des actes d’un ange ?

Je considère mon créateur et penche ma tête sur le côté.

Ma création fut imparfaite, ma vision faussée. Je ne suis pas une protectrice, mais une menace, une arme pour ceux qui voudraient me dominer afin de nuire à ce monde.

« Les êtres malveillants comme toi ! » accusé-je.

Je redresse les épaules et déploie mes ailes. Le clair de lune baigne mon corps. Ma peau se met à luire, et des colombes s’envolent dans la cathédrale, autour de moi. Mon devoir m’apparaît clairement.

« Avacyn ! » tonne le vampire d’une voix sourde, celle du prédateur.

« Fils de Markov ! rétorqué-je, en levant ma lance, dont les fers se recourbent et se tordent pour pointer vers sa poitrine. Tu es responsable de tout ceci. »

« Tu devrais mesurer tes paroles, mon enfant », me prévient Sorin.

« Je ne suis pas ton enfant, je suis ta création. Tu es responsable de chacun de mes actes. J’ai été engendrée pour servir un objectif, et tes desseins étaient impurs. Sorin Markov, je te condamne, car tu es le plus grand mal qui pèse sur ce monde ! »

« Tu ne sais plus ce que tu dis », crache le vampire entre ses dents.

« Sorin, attends ! » s’écrie l’un des démons. Les répercussions pour ce plan seraient… »

« Pourquoi permettrais-tu tout ceci ? demandé-je. Pourquoi m’avoir créée ainsi ? » J’appuie l’estoc de ma lance contre sa poitrine, égratignant son armure.

Le vampire a un sourire moqueur. La lame dans sa main reflète la lumière en provenance de la charpente. « Avacyn, accompagne-moi dans la crypte ! m’enjoint-il. Nous y discuterons de ta création. »

« Tu m’a créée pour anéantir le mal, répliqué-je. Alors prépare-toi à l’anéantissement. »

Je lui enfonce ma lance dans le torse, usant de toute ma force divine. Étrangement, pourtant, je manque ma cible, perds l’équilibre et chois derrière lui. Il m’assène alors une magie d’éreintement, mais je me déplace à temps pour la dévier.

Canalisant la lumière dans mon arme, je vise à nouveau sa poitrine. Le coup fait mouche, mais ne produit qu’une gerbe d’étincelles.

Il contre-attaque, me frappant du plat de son épée. La force du coup est cependant suffisante pour résonner dans ma poitrine.

Je brandis ma pertuisane des deux mains, son extrémité létale pointée vers le ciel. Je concentre ma colère dans mon arme, qui se met à vibrer d’une puissance céleste.

« Tu as été façonnée pour m’être loyale, explique le vampire. Tu ne saurais me faire de mal. »

« Peut-être, mais je ne suis pas seule. »

Il lève les yeux : les anges que j‘ai appelés se jettent des chevrons de la charpente. À peine a-t-il le temps de se protéger le visage qu’ils fondent sur lui, leurs mains délicates le déchiquetant pourtant comme des serres.

Il ne se défend pas moins, et ses coups sont redoutables. Il embroche ainsi le premier de ses assaillants sur son épée et tranche l’aile d’un autre ; il projette un troisième au sol, craquelant le marbre, et encore un autre contre une colonne, aussitôt réduite en miettes ; il serre la gorge d’un quatrième, le maintenant à distance tandis que ce dernier tente de lui labourer le visage et les épaules à coups de griffes. J’insuffle ma force à ma sœur, mais son essence, absorbée par Markov, quitte son corps en traînées noires et fluides, qui s’étirent de ses yeux et sa bouche jusqu’à ceux du vampire. Elle s’écroule à terre, le visage figé dans un horrible rictus.

Sorin se tourne vers moi, sa tenue de cuir déchirée et son plastron d’armure, éclaté. Mes anges l’ont affaibli, mais il est loin d’être vaincu. Il frappe de la pointe de son épée sur le sol de marbre. « Ceci ne change rien, Avacyn », lâche-t-il.

Je lance un appel, et les trois dernières de mes sœurs aux yeux étoilés, les ultimes gardiennes de la cathédrale, l’encerclent. Elles l’attaquent de concert, toutes griffes et épées dehors, en poussant des cris perçants. Markov doit se sentir comme moi-même lorsque j’étais prisonnière du Helgruft, les ailes des démons me frôlant sans cesse dans le vide sans lumière.

L’une après l’autre, il anéantit mes parèdres. Il en charge une, et son pauvre corps désarticulé fracasse alors plusieurs rangées de bancs de pierre. Alors que la suivante fond sur lui, il lève brusquement son épée pour la lui planter dans la poitrine et l’empaler ; elle s’écroule. Il saisit la dernière par l’épaule, la fixe droit dans les yeux, puis la projette au travers d’un gigantesque vitrail allant du sol au plafond. Le panneau éclate en mille débris. Propulsé dans les airs, l’ange disparaît au-dessus de la falaise.

Markov se tourne alors de nouveau vers moi, une grimace révélant l’un de ses crocs. Le fer de ma lance trouve son cou, mais je le sens me résister. Je pousse de toutes mes forces, et elle ne l’égratigne même pas.

Je me concentre sur son visage. Je dois me rappeler qu’il n’est pas un noble vampire, mais une abomination : un monstre, un démon hématophage, une sangsue.

Et je le vois sous un nouveau jour : ses yeux deviennent des gueules béantes, bordées de dents acérées ; son visage n’est qu’un masque diaphane. Il est mon créateur, mais aussi l’incarnation du mal.

« Avacyn… » entame-t-il, et je plonge ma lance dans son cou jusqu’à l’os.

Il rugit et recule, sa main se portant immédiatement à sa gorge. Une boue putrescente coule entre ses doigts, se changeant en moisissure écœurante lorsqu’elle tombe sur le dallage.

Il bondit vers moi, son épée ciblant mon cœur. Sa flamberge et ma lance s’entrechoquent dans une gerbe d’étincelles. Je pivote pour contre-attaquer, mais je dois esquiver ses griffes, qui tranchent les tendons de mon aile. Lorsque je tente de le fracasser de lumière, une rafale de magie du sang disperse mon sort. Je pousse un cri strident et me jette sur lui, son corps brisant une colonne au passage, le choc l’entraînant dans les débris de bois et de verre jusqu’à le plaquer contre le mur de la cathédrale.

La tête du monstre se tourne et j’entends des craquements d’os. La blessure à son cou a commencé à se refermer.

Des paroles bavent des gueules que sont ses orbites : « Avacyn, je n’ai pas le choix. »

« Moi non plus », répliqué-je, plongeant ma lance dans le plastron d’armure éclaté du monstre, si profondément que la lame touche le granit de la paroi dans son dos.

Il hurle et je me trouve projetée en arrière. Je parviens à recouvrer mon équilibre. Markov tient le manche de ma pertuisane et l’arrache de sa poitrine. L’espace d’un instant, je vois même la grosse larve visqueuse qui doit lui servir de cœur. Un grouillis de couleuvres s’écoule de la blessure. Il lâche la lance et son épée, qui percutent le sol dans un fracas retentissant, puis il referme sa blessure en passant une griffe le long de celle-ci.

« Tu as scellé ta perte », décrète-t-il. Tu ne vois plus en moi qu’un monstre, et c’est pour cela que tu peux me blesser. »

« Tu es un chancre sur ce monde, l’accusé-je. Je ne m’en rends compte qu’à présent. »

Son attaque est soudaine, presque plus rapide à me frapper que le son qui l’accompagne.

Nous luttons corps à corps, nos mains enserrant nos épaules respectives. Nous fracassons plusieurs rangées de bancs. Nous nous soulevons l’un l’autre jusqu’aux solives, brisant les poutres, déclenchant une pluie de plâtre, de poussière et de plumes. Je lui balafre le visage, et les blessures ne se referment pas immédiatement. Mes doigts lui déchirent la peau, et une fumée âcre s’échappe de ses plaies tandis que des pans entiers de maçonnerie s’écrasent au sol.

Il grimace et bloque soudain mes avant-bras tandis que j’agite mes ailes pour nous maintenir dans les airs. Ses muscles sont d’acier, il me tord les bras et se retrouve dans mon dos, me disloquant une épaule. Je comprends qu’il s’était retenu jusqu’ici ; or c’est toute sa force qu’il déploie à présent.

Il me mord le cou ; la douleur est comparable aux cris de mille innocents, mille suppliques, mille prières auxquelles je ne répondrai jamais. Je sens mon sang jaillir de ma gorge, comme aspiré.

Lorsque nous chutons, ce n’est ni à cause de la gravité, ni d’une faiblesse de mes ailes : il nous attire vers le sol, sa force nous projetant depuis les combles de la cathédrale vers le dallage.

Que nous traversons dans notre chute.

Nous nous retrouvons étendus dans la crypte de la cathédrale de Thraben, entourés de fragments de marbre. Au-dessus de nous, l’épée de Markov bascule du bord du trou et s’abat près de nous, sa pointe fichée dans la pierre.

Je cherche à tâtons près de moi, espérant trouver ma lance, mais en vain. Elle a dû tomber dans la cathédrale. En revanche, mes doigts effleurent une empreinte noircie, une trace de brûlure, le vestige d’un sort puissant. Elle a une forme d’ailes, celles d’un ange.

Vault of the Archangel
Caveau de l'archange | Illustration par John Avon

Au-dessus de nous, j’entends les démons hurler, leurs objurgations résonnent dans la cathédrale, comme autant de prières sans réponse.

« Tu devrais reconnaître cet endroit, dit Sorin, se redressant en essuyant sa bouche pleine de crocs. C’est le lieu de ta création. »

Je me relève, moi aussi. Ma blessure au cou saigne, mais je ne fais rien pour endiguer l’écoulement. Pour une raison qui m’échappe, dans cet endroit, ce saignement me semble curatif. « Où tu as fait de moi ce que je suis », rétorqué-je.

« Laisse-moi t’aider, mon enfant, susurre le monstre. Je pourrais purifier ton esprit, refaire de toi l’instrument de la vertu. T’offrir une renaissance. »

Jamais ! « Si je ne suis pas la fille que tu désires… » entamé-je.

Il tressaille, comme giflé.

« … alors nous sommes condamnés à combattre, encore et encore, pour l’éternité, car jamais je ne céderai. Je refuse d’être l’instrument d’un monstre. Je vous dénie, à toi et tes semblables, le droit de me refaçonner pour épouser vos desseins. »

Dans ce sanctuaire consacré, je sens déjà mes forces me revenir, car je suis éternelle. Dans un instant, je serai prête à le vaincre.

« Non, répond Markov. C’est terminé. »

« Je sais ce que tu veux, dis-je. Alors fais-le : crée un autre Helgruft d’argent, emprisonne-moi. C’est ton unique chance pour m’empêcher de tout mette en œuvre pour t’anéantir. »

« Ta prison a été détruite, répond-il. Je ne saurais recréer le Helgruft, pas plus que je puis réitérer ta création. »

Je rassemble mes forces. « Tu es mon créateur, tu dois connaître les lois qui régissent ce monde. Ce qui ne peut être détruit sera emprisonné. »

Markov dégage son épée du dallage où elle s’était fichée, puis, poursuit, résigné : « Avacyn, tu n’es pas indestructible. »

Anguished Unmaking (Game Day Promo)
Annulation angoissée (Promo Game Day) | Illustration par Viktor Titov

Je ne vois plus son visage, car il se détourne de moi. Je ne vois plus s’il est monstre ou homme. Je ne vois plus que la pointe de cette épée. Je n’entends plus que des paroles archaïques, psalmodiées en un rituel inversé, pour reprendre ce qui fut donné. Je ne sens plus que le contact de mes genoux sur le sol dur et froid de la cathédrale. Je ne perçois plus qu’une odeur de cendre et, sous mes doigts, l’ombre imprimée sur le sol, ce dessin qui marque l’instant de ma création.

Dans mon ultime prière au monde, je ne puis dire qu’une chose : j’ai toujours eu à cœur de protéger les innocents.

Je suis Avacyn. Je suis la protectrice.


Lunar Mystic
Mystique lunaire | Illustration par Wesley Burt
Geist of Saint Traft
Geist de Saint Traft | Illustration par Daarken

« Mais que… Qu’as-tu donc fait ? » se récria Jace.

Des fumerolles s’élevaient de la tache calcinée, sur le sol, remontant le long du puits de lumière qui tombait d’un des vitraux brisés de la cathédrale. Avacyn n’était plus. L’édifice donnait à présent une impression de surdimensionnement : il y avait trop d’espace sous la charpente, trop de vide.

Le regard de Jace hésita entre l’emplacement où s’était dressée Avacyn et le visage défait de Sorin. Le vampire tremblait, les mains agrippées à son épée, comme s’il tentait de contenir un séisme intérieur.

« Je n’avais pas le choix », murmura ce dernier.

Jace ne parvint à exprimer son ébahissement incrédule qu’en gestes futiles de ses mains, incapable de répondre à pareille assertion, tant étaient nombreuses ses objections. En désespoir de cause, il s’adressa à Tamiyo : « N’avait-il vraiment pas le choix ? »

La lunaréenne plissa le front, elle rassembla les plis de ses robes et s’accroupit, tendant une main gantée vers le tas de cendres, puis elle se releva en frottant la poussière grise entre ses doigts. Elle posa ensuite une main sur un petit télescope qu’elle portait à la ceinture, comme un guerrier touchant son arme pour se rassurer, les yeux fixés sur Jace, et lui répondit : « Cet acte ne sera pas sans conséquences. »

Jace opina : « En effet, les peuples de ce monde ont perdu leur protectrice. »

Un long et sinistre roulement de tonnerre retentit dans le ciel. Le son se répercuta dans la poitrine de Jace et déclencha une nouvelle pluie de poussière venant du plafond.

Tamiyo reprit la parole d’un air grave : « C’est ce plan tout entier qui a perdu sa protectrice », rectifia-t-elle.

L’univers trembla de nouveau, faisant cette fois chanceler le mage. La secousse s’intensifia, les dalles tremblèrent sur leur antique fondation de mortier, et, comme en écho à cette convulsion, des éclats de verre multicolores tombèrent en tintinnabulant des vitraux qui portraituraient Avacyn.

Puis les secousses cessèrent, le silence revint.

Sorin rengaina son épée et se détourna, le col de son manteau remonté jusqu’au menton, les épaules courbées. Le vampire monta un escalier, ses ongles creusant des sillons dans la rambarde de marbre.

Jace remarqua que le centre des marches était usé et déformé : des siècles d’allées et venues, ceux des adorateurs de l’archange, des quêteurs d’Avacyn.

« Mais qu’as-tu donc fait ?! » se lamenta encore une fois le mage.


L’Histoire de Ténèbres sur Innistrad reprendra le 8 juin. Dans l’intervalle, revenez ici ces deux prochaines semaines pour de nouvelles aventures dans le Multivers.


Histoires archivées Ténèbres sur Innistrad

Profil du Planeswalker : Jace Beleren

Profil du Planeswalker : Sorin Markov

Profil du Planeswalker : Tamiyo

Profil du plan : Innistrad