Illustration par Anna Steinbauer
Illustration par Anna Steinbauer

Huatli excellait dans deux domaines.

C'était une chevalière hors pair et une oratrice sans égal.

Lorsqu'elle faisait montre de l'un de ses talents, elle surpassait tous les autres chevaliers de l'Empire du Soleil.

Elle n'avait jamais eu besoin d'être quoi que ce fût d'autre. Elle était certaine que l'empereur allait enfin lui accorder le titre de poétesse guerrière après ses longues années de préparation et d'ascension sociale.

« Laisse-moi la voir encore une fois », chuchota son cousin.

Huatli ouvrit la sacoche de sa selle. Un reflet d'acier éblouit les deux chevaliers.

Inti jeta un coup d'œil dans le sac, un petit rictus sur le visage. « Elle est hideuse. »

Son cousin était toujours d'humeur désespérément égale, mais Huatli avait appris à quantifier son enthousiasme au fil des ans. Cette simple petite phrase ne pouvait signifier qu'une seule chose, il était aux anges.

« Celui qui l'a forgée était fort peu habile, et celui qui la maniait l'était encore moins », s'exclama Huatli en souriant. Leur victoire finale avait été facile. Aucune victime à déplorer dans les deux camps. Il leur avait suffit de prouver leur supériorité militaire et de faire une offre convaincante. La Légion du crépuscule s'était repliée sur ses navires, sans armes ni fierté.

Huatli observa la place alors qu'elle et son cousin passaient sous l'arche à l'entrée de Pachatupa. Des serviteurs préparaient les lieux pour la célébration de leur retour qui se déroulerait plus tard dans la journée. Quelques citoyens traversaient la place avec détermination, mais dans l'ensemble, elle était vide. Seules les deux montures des chevaliers, des pieds-en-griffe aux yeux brillants, semblaient intéressées par leur présence. Le dinosaure de Huatli tira sur ses rênes, impatient de rentrer à l'écurie pour son repas.

Huatli et Inti revenaient de la dernière grande campagne militaire de l'Empire du Soleil sur la Côte du Soleil. La grande majorité de l'armée était déjà rentrée, mais leur escadron avait été retardé par un ultime affrontement avec la Légion du crépuscule. Et comme toute victoire amplement méritée, celle-ci était synonyme de butin.

Inti tendit la main et Huatli y déposa l'épée volée. Il en vérifia le poids à l'aide de quelques mouvements de poignet, puis la lui rendit. « Tu aurais dû voir leur prêtre », dit-il.

« Hiérophante », corrigea-t-elle.

« Hiérophante ? Beuh. Enfin, il avait les ongles comme grand-mère. »

Huatli hocha la tête avec exagération et laissa échapper un hum catégorique. « Si l'on considère les faits, tout porte à croire que grand-mère est bel et bien une vampire. »

Elle se tourna vers Inti et compta chaque preuve sur les doigts de sa main qui ne tenaient pas les rênes du dinosaure.

« Elle n'a aucun appétit, son regard est vide, elle est toujours en vie malgré tout... »

Inti esquissa un sourire. Huatli sourit à son tour.

Ils avaient grandi ensemble et avaient troqué leurs batailles d'enfants à coup de bâton pour des affrontements contre les ennemis de l'Empire du Soleil.

Inti tapa sur l'épaule de sa cousine. Plusieurs personnes s'avançaient vers eux, un sourire heureux et ravi éclairant leur visage.

« Je te laisse à tes admirateurs. »

Huatli lui fit adieu de la main.

« Huatli ! Bienvenue chez toi ! », s'exclama l'un des étrangers.

Huatli sourit et inclina la tête en signe de reconnaissance.

Une petite fille de 13 ans tout au plus sortit du groupe et courut vers elle les yeux écarquillés et hors d'haleine. « Poétesse guerrière, feras-tu un discours pour la cérémonie ? »

Huatli avait horreur que les gens lui attribuent des honneurs qu'elle n'avait encore pas tout à fait mérités.

« Je parlerai aujourd'hui, mais je ne suis pas encore poétesse guerrière. Quel est ton nom, mon amie ? »

« Wayta. J'ai entendu ton discours au dernier festival de l'équinoxe... Tu étais fantastique. »

« Écris-tu de la poésie, Wayta ? »

La petite fille baissa la tête, visiblement embarrassée. « Elle n'est pas assez bonne pour être partagée. »

Huatli se pencha vers la fillette afin que le reste du groupe qui s'étoffait rapidement n'entende pas. « Veux-tu connaître un secret ? »

Wayta regarda Huatli, émerveillée.

Huatli lui sourit en retour. « Il y a deux types de poèmes dans le monde. Ceux qui sont bons et ceux qui sont honnêtes. La poésie qui est bonne est astucieuse, et ça, tout le monde peut y arriver en travaillant. Mais la poésie qui est honnête est emplie de magie. Pour faire ressentir aux autres ce que tu ressens, il faut être un très grand magicien. »

Huatli continua. « Si tu penses que ton travail n'est pas prêt à être partagé, n'essaie pas de le rendre bon. Efforce-toi de le rendre honnête. »

Elle lui fit un clin d'œil.

Wayta arbora un large sourire.


Une heure plus tard, la cérémonie débutait et Huatli attendait patiemment de faire son entrée.

Bien que leur mission n'ait été que d'une importance limitée, elle représentait le point final d'une grande campagne de libération de la Côte du Soleil. Pour marquer cette joyeuse occasion, l'empereur allait parler à tous les citoyens de Pachatupa, et Huatli déclamerait elle aussi un discours.

Le titre de poète guerrier n'était octroyé qu'à une seule personne par génération. Il lui incombait de préserver l'histoire de leur peuple et de donner corps aux événements grâce à ses mots. Pour mériter cette distinction, il fallait faire montre de grandeur au service du royaume. Une telle responsabilité aurait dû peser lourdement sur les épaules de Huatli, mais malgré son jeune âge, elle ne se laissait pas facilement dépasser par les événements.

Tous les habitants de l'Empire du Soleil respectaient leur empereur, mais ils adoraient leur poète guerrier. Il s'agirait sans doute là de son dernier discours avant que l'empereur ne lui octroie le titre de poétesse guerrière, et Huatli avait à cœur de se montrer digne d'une telle admiration.

Aucune qualification précise n'était nécessaire à l'obtention de ce titre, mais la confiance grandissante de l'empereur semblait indiquer que l'annonce ne tarderait plus. Huatli pouvait la sentir dans l'air comme le goût du métal avant une tempête.

Elle rejeta les épaules en arrière et inhala l'air qui sentait le renfermé. Sa monture piétinait sur place, anxieuse de quitter l'obscurité de l'écurie. Huatli passa la main sur le flanc rugueux de son dinosaure afin de l'enjoindre à rester calme.

Patience, dit-elle en lui communiquant le souvenir olfactif de la nourriture grâce au lien qui les unissait.

Cette promesse de friandise calma aussitôt le dinosaure. Huatli lui flatta l'encolure. La bête froissa ses plumes puis retrouva son immobilité naturelle, attendant le prochain ordre de Huatli.

Huatli serait bientôt appelée à parler. Elle ne s'inquiétait désormais plus de ses performances. Elle cherchait uniquement à savoir si elle en avait fait assez.

L'air de l'écurie était étouffant.

Elle étendait au loin l'écho de la voix de l'empereur qui parlait aux citoyens de Pachatupa. Tous ceux qui vivaient dans la cité prenaient part à la célébration.

Il l'annoncera peut-être après mon discours, pensa-t-elle. Aujourd'hui est peut-être le jour où il annoncera que j'ai suffisamment œuvré pour mériter le titre que toute la cité accole déjà à mon nom.

Quelqu'un jeta un coup d'œil à l'intérieur de l'écurie. L'homme portait les marques des prêtres ; c'était sans doute l'un des organisateurs de cette cérémonie. Il fit un signe de tête à Huatli.

Tu vas y arriver, pensa-t-elle pour s'en convaincre. Son dinosaure qui partageait son enthousiasme croassa.

Elle pressa les flancs de sa monture et le pied-en-griffe sortit de l'écurie.

Le soleil était plus ardent qu'un feu de forge et la liesse de la foule plus assourdissante que le rugissement de n'importe quel dinosaure.

Des milliers de citoyens de l'Empire du Soleil s'écartèrent pour la laisser passer, ne manquant pas de l'applaudir au passage. Autour d'eux, la cité parée d'ambre resplendissait dans la lumière du soleil de midi. Les habitants rassemblés sur la place avaient fait face au Temple du Soleil incandescent pour écouter le discours de l'empereur, mais à présent, ils étaient tournés vers Huatli et l'applaudissaient alors qu'elle passait au galop en direction du grand escalier menant à la tribune.

Son dinosaure courut en ligne droite au milieu de la foule qui s'écartait, sous des arches suffisamment hautes pour les créatures à long cou, et sur un pavement suffisamment robuste pour supporter le poids des dardéchines les plus lourds. L’empereur se tenait au sommet des marches du Temple du Soleil incandescent, la main tendue en signe de bienvenue. Même à cette distance, Huatli discernait son large sourire.

La foule commença à scander son nom.

Huatli exulta. Elle sentit que le moment était venu de montrer l'arme.

Elle brandit l'épée de l'envahisseur et les hurlements de la foule redoublèrent.

L'objet était fin et fragile, conçu pour les estocades rapides et non les profondes taillades. Une rose mal seyante était soudée à l'un des plats. Comment ces piètres artisans avaient-ils bien pu s'auto-proclamer conquérants ?

Son dinosaure s'arrêta au pied des marches du temple et Huatli mit pied à terre, tenant toujours l'épée levée.

Elle leva les yeux vers l'empereur et gravit les marches.

Ce temple avait été construit sur les fondations d'un plus ancien, lui-même bâti sur diverses ruines antiques. Cette analogie pouvait s'appliquer à l'Empire du Soleil tout entier : il s'agissait là de la dernière itération d'un territoire dont les dirigeants couraient après le pouvoir, prenant appui sur l'ancien pour atteindre de nouveaux sommets. Bien que les Hérauts de l'onde aient autrefois contrôlé le continent, l'Empire du Soleil y avait renforcé son emprise sous la férule du nouvel empereur. Apatzec Intli III était non seulement responsable de cette nouvelle volonté de contrôle, mais il était aussi l'instigateur de l'expansionnisme qui s'était emparé de l'empire à la mort de sa mère quelques années plus tôt. Alors que l'impératrice s'était occupée des tâches routinières de gestion, le nouvel empereur ambitionnait de devenir la cheville ouvrière d'un nouvel âge d'or pour l'Empire du Soleil.

Huatli n'avait jamais rencontré l'impératrice, mais elle admirait Apatzec pour sa détermination. Il l'avait découverte alors qu'elle gravissait les échelons de sa garde, et après des années de bons et loyaux services, elle était devenue sa conseillère tactique la plus fidèle.

Au sommet des marches, Huatli se retourna et présenta l'épée de la Légion du crépuscule à la foule. Le butin de guerre ainsi exposé fut acclamé. L'empereur Apatzec s'avança, entouré de prêtres, et Huatli lui remit l'épée.

Il lui donna une tape sur l'épaule en souriant, et s'adressa au peuple de Pachatupa rassemblé en contrebas, sur la place.

« Citoyens ! Je vous présente le chef de l'escadron qui a repoussé les envahisseurs de la Côte du Soleil. Avec ses guerriers, elle a chassé la Légion du crépuscule de nos rives. Elle nous est revenue saine et sauve ce matin. Mes paroles ne peuvent rendre justice à son triomphe. Célébrez la bienveillance courageuse de Huatli ! »

Une clameur assourdissante s'éleva de la foule.

Huatli sourit, tendit la main et en abaissa la paume, rompue à l'exercice. La foule se tut et elle lança rapidement un sort afin que porte au loin sa voix empreinte d'autorité.

C'est comme à l'entraînement. Tu en es capable.

Illustration par Anthony Palumbo
Illustration par Anthony Palumbo

« Kinjalli, entends mon appel !
Le temps est venu d'éveiller les dormeurs
Et de percer les ténèbres venues d'Orient
Qui voudraient assombrir notre existence.

Tilonalli, entends mon appel !
Embrase le cœur de tes enfants
Afin que nous puissions être l'aube
Qui immole le crépuscule.

Grâce à la Trinité solaire qui nous surplombe
Et à ces prières sur nos lèvres,
Nos fiers guerriers armés de ta lumière
Ont terrassé les barbares sur tes rivages.

À cheval sur nos pieds-en-griffe, nos queues-de-cuirasse et nos cornus à jabots,
Nous avons abattu le glorieux blâme
Sur l'ennemi aux yeux perçants
Qui convoite ce qui te revient de droit.

Nous les avons retrouvés sur le sable,
Crocs luisants de malveillance et épées en main,
Mais ces vils êtres n’ont pu nous résister
Et ils ont fui rapidement nos rives.

Ici, aujourd'hui, je vous conjure de ne pas oublier
Que l'Empire est la lumière
Et que rien ne terrifie plus le crépuscule
Que l'ascension du Soleil. »

Un nouveau tonnerre d'applaudissements s'éleva de la foule.

L'empereur Apatzec regarda Huatli, un large sourire approbateur aux lèvres.

Huatli inclina la tête en signe de gratitude.

L'empereur s'avança et augmenta légèrement le niveau sonore de sa voix grâce à un léger voile de magie. « Cette victoire marque le début de notre prochaine campagne d'expansion. »

La foule se tut. L'information était importante.

Veut-il m'accorder le titre maintenant ?

« Maintenant que la Coalition des hardis et la Légion du crépuscule ont été chassées de la côte orientale, nous sommes prêts à reprendre le sud », annonça Apatzec. Sa diction était celle d'un dirigeant aguerri et d'un conquérant confiant. « Nos guerriers n'ont jamais été aussi prêts, et avec la force du Soleil incandescent, nous bannirons la Légion du crépuscule de nos terres ! »

La foule applaudit et Apatzec salua Huatli d'un signe de tête. Son cœur se serra. Cela aurait été le moment d'annoncer son nouveau titre. Elle salua la foule, se retourna et suivit l'empereur à l'intérieur du temple.

Il fit signe aux autres prêtres de s'en aller et retira sa cape ornementale.

Huatli pris place sur un coussin au centre de la pièce. Il s'assit en face d'elle et lui sourit.

« Merci d'avoir partagé avec nous ton talent, Huatli. Notre empire a besoin de ta voix. »

« C'est toujours un plaisir de rendre service à l'empire, empereur Apatzec. »

Il regarda l'épée de la Légion du crépuscule toujours dans sa main et la souleva, un regard de dégoût lui plissant le visage.

« Plutôt tapageuse, nota-t-il. C'est à se demander comment ils ont conquis un continent entier avec ça. »

« Ils ont aussi utilisé leurs dents, sire, rétorqua Huatli en réprimant un large sourire. Malheureusement pour eux, les nôtres sont bien plus pointues. »

« En effet. »

L'empereur sourit à Huatli. Elle resta silencieuse, attendant patiemment qu'il reprennent la parole.

Il lui annonça alors la dernière chose à laquelle elle s'attendait.

« Je ne t’envoie pas combattre dans le sud. »

Huatli tenta de réprimer toute trace de déception.

« Le titre de poétesse guerrière m'avait été promis après une dernière mission », déclara-t-elle du ton le plus neutre possible.

L'empereur Apatzec acquiesça solennellement d'un signe de tête. « Je savais que tu détesterais l'idée. »

« Ce n’est pas le cas », affirma-t-elle en contrôlant la moindre de ses réactions.

« L'Empire du Soleil a besoin de toi ici, à Pachatupa. Il se peut que des envahisseurs reviennent sur nos rives orientales. »

« Sais-tu des choses que j'ignore, mon empereur ? »

L'empereur fronça les sourcils. « Seulement des rumeurs. Mais je redoute une attaque imminente de la Coalition des hardis et de la Légion du crépuscule. Ton escadron et toi continuerez à maintenir une présence sur la côte afin de dissuader les envahisseurs de nous attaquer pendant que notre armée se bat dans le sud pour le mois à venir. Tu partiras la semaine prochaine pour ta mission. »

« Compris, sire. »

L'empereur marqua une pause et soupira. « Je ne veux pas penser aux instructions qui auraient été celles de ma mère. »

« Protéger les cités et continuer à chercher celle que nous avons perdue, j'imagine. »

Apatzec approuva, un sourire au coin des lèvres.

« Nous aurions plus vite fait de trouver une panthère volante que la totalité d'une cité perdue. Mieux vaut se concentrer sur ce qui est réel, Huatli. Ce que nous pouvons voir et entendre. Nous ne ferions que tourner en rond à chasser des fantômes. Prépare ton escadron, et n'oublie pas d'écrire un autre de tes poèmes en chemin. »

Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle avait encore une chance.

Apatzec fit une révérence, et Huatli s'inclina à son tour.


Un mois plus tard, Huatli eut vent d'une rumeur.

Des éclaireurs avaient aperçu un navire de la Coalition des hardis au large. Huatli sella sa monture et partit en direction de la jungle avec Inti aussi rapidement que possible.

Les fleurs étaient plus hautes qu’eux, et des groupes de dinosaures au long cou s'écartèrent au passage des deux guerriers montés sur leurs pieds-en-griffe.

Illustration par Zack Stella
Illustration par Zack Stella

« Selon les éclaireurs, ils avaient établi leur campement près de l'affleurement », hurla Inti pour couvrir le fracas des pas de leurs dinosaures.

Des lianes fouettaient l'armure de Huatli alors qu'elle se frayait un chemin dans la jungle. Elle se redressa sur sa selle et commença a invoquer de l'aide.

Elle sentit sa magie s'embraser en elle, tel un petit flambeau qui irradiait de sa poitrine. Quelques secondes plus tard, elle entendit de tous côtés les pas de dinosaures bipèdes. En peu de temps, une horde de dinosaures s'était rassemblée et courait derrière eux. Les petits dévoreurs d'œufs furent rejoints par des queues-de-cuirasse et des cornus à jabots, et tous avançaient d'un pas résolu, suivant de près les montures des chevaliers de l'Empire du Soleil. Huatli enjoignit la harde de les suivre, calmant les dinosaures à l'aide de sa magie et leur assurant qu'aucun d'eux ne serait blessé.

« Huatli ! Là-bas devant ! » Inti pointa du doigt une clairière où le delta du fleuve rencontrait la mer.

Des voiles rouges éclatantes formaient une tache menaçante sur le ciel azuré, et bon nombre de caisses et de marchandises étaient entassées sur la plage.

Toute la troupe s'arrêta à la lisière de l'épaisse jungle, invisible depuis la plage. Huatli et Inti regardèrent en direction du navire, impatients.

« Pas d'équipage », fit remarquer Inti à voix basse.

Huatli opina du chef. « Ils doivent surveiller la zone. Je détruis leur équipement et tu pousses les pirates vers le navire quand tu vois les flammes s'élever des marchandises. »

« C'est d'accord, acquiesça Inti, jetant un regard vers Huatli avant de reprendre. Surveille tes arrières, cousine. »

« Toi aussi. »

Inti s'enfonça dans la jungle tandis que Huatli guidait sa monture sur la plage, indiquant au reste de la harde de rester dans la jungle.

Le dinosaure avança sans bruit sur le sable, et Huatli se retrouva rapidement près du tas de provisions. Elle déboucha une flasque qui se trouvait à sa ceinture et en versa le contenu fortement odorant sur les caisses. Elle détacha ensuite une petite pierre sombre de son armure et la frappa contre l'acier de sa lame. Des étincelles virevoltèrent jusqu'aux caisses en bois sec et celles-ci prirent feu presque instantanément.

Huatli rangea sa lame et regagna la jungle au plus vite. Elle reprit le poste qu'elle avait tout juste quitté, à la limite entre jungle et plage. Certains des membres d'équipage émergèrent de la jungle, paniqués à la vue de la fumée s'élevant de leurs rations et leur équipement. Cependant, ils n'étaient pas assez nombreux à courir.

Chassez-les vers la plage, commanda Huatli, les yeux illuminés par la magie.

Un bruissement sourd parcourut la jungle et une douzaine d'humains, d'ogres et de gobelins de la Coalition des hardis se ruèrent sur la plage en hurlant, poursuivis par les dinosaures invoqués. Ces pirates, aveuglés par la clarté retrouvée du soleil, découvrirent avec stupeur le feu de joie qui les attendait sur le sable. Ils se précipitèrent, tentant d’éteindre les flammes qui consumaient leurs provisions.

Huatli sourit et remarqua Inti au loin. Elle siffla et il vint à elle au trot. Cachés par les fougères et les arbres côtiers, ils étaient invisibles aux yeux des pirates. Il approcha sa monture de celle de Huatli.

« La situation est réglée ici, déclara Huatli, les yeux rivés sur l'équipage paniqué qui tentait déjà de retourner à bord de son navire. Vas voir plus loin si tu trouves de l'eau douce. Je boirais bien un petit peu. »

Inti se retourna et s'enfonça à nouveau dans la jungle.

Huatli pressa légèrement sa monture pour qu'elle trotte et commença à longer la plage.

Tout à coup, quelque chose tira violemment sur les pattes de sa monture. La jeune femme heurta le sol dans un bruit sourd.

Elle se remit rapidement sur ses pieds et, entendant les hurlements de son dinosaure, constata avec horreur que des chaînes incandescentes lui entravaient les pattes.

Lorsqu’elle vit d’où provenaient ces chaînes, Huatli, terrifiée, en eut le souffle coupé.

Un monstre gigantesque venait d'émerger de derrière un arbre.

Illustration par Svetlin Velinov
Illustration par Svetlin Velinov

Il avait le corps d'un forgeron, mais la tête d'un animal que Huatli avait découvert dans les forts de la Légion du crépuscule. Comment était-ce déjà ? Un taureau ? De lourdes chaînes de fer étaient enroulées autour de sa poitrine et il semblait rougeoyer de l’intérieur comme un fourneau, un jet de vapeur continu s'échappant de son museau.

Huatli se précipita vers sa monture pour tenter de l'aider, mais son ennemi renacla avec fureur, tirant sur la chaîne enroulée autour de la patte du dinosaure. Le métal s'éleva seul, et claqua à nouveau dans l'air, s'enroulant cette fois autour du cou de la créature. Le monstre tira fortement sur la chaîne pour la resserrer et un ignoble craquement se fit entendre. Le dinosaure mourut sur le coup.

Huatli se redressa et dégaina son arme. Elle ne tenta nullement de masquer le dégoût qui se lisait sur son visage. Elle connaissait cette monture depuis des années. Un monstre qui faisait preuve d'une si grande cruauté devait en assumer les conséquences.

« Quel est ton nom ?! » hurla-t-elle.

La bête tendit les mains et les chaînes quittèrent le cou du dinosaure pour venir s'enrouler autour de ses bras, prêtes pour une nouvelle attaque. Un feu surnaturel brûlait dans les entrailles de la bête et de la fumée s'échappait de ses naseaux.

« Je suis le redoutable pirate Angrath et je cherche le Soleil immortel », déclara-t-il.

Huatli rit à gorge déployée. « Toi et tous les autres imbéciles. »

Sa voix avait un accent dont Huatli ne connaissait pas la provenance. « Si tu ne me dis pas où se trouve le Soleil immortel, tu mourras, chevalière. »

Une chaîne jaillit de son bras droit. Huatli l'esquiva, mais en sentit la chaleur quand elle passa à proximité de son visage.

Elle retrouva l'équilibre et courut vers Angrath, la lame dégainée et les muscles tendus. Elle tenta de planter sa lame semi-circulaire dans un tendon de la moitié inférieure de son corps, mais le pirate émettait une chaleur si étouffante qu'elle était insupportable. Elle recula, faisant voler un tas de feuilles mortes et de poussière en évitant la chaîne.

Elle avait agi juste à temps pour éviter un nouveau coup. Une seconde chaîne s'anima et s'empara de son pied. Huatli fut projetée au sol avec une telle force que l'air s'échappa de ses poumons.

La chaîne était si brûlante qu'elle la sentait à travers ses épaisses grèves d'acier. Elle se pencha en avant, et frappa de toutes ses forces sur la chaîne avec sa lame pour tenter de la briser. Angrath avançait vers elle nonchalamment, une lueur furieuse dans le regard.

Huatli se débâtit autant qu'elle put, et la chaîne finit par se desserrer.

Aucun pirate ne faisait montre d'une telle insensibilité dans sa rage, aucun Héraut de l'onde ne tuait avec autant de mépris et aucun membre de la Légion du crépuscule n'était si imprévisible. Huatli se sentit prise de court, hors de son élément. Cet ennemi ne ressemblait à aucun autre.

« Huatli ?! »

Elle tourna la tête. Inti avait sans doute fait demi-tour en entendant les bruits de lutte, et il se tenait là, horrifié par le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Angrath tourna lui aussi la tête vers le nouvel arrivant, et Huatli bondit, prête à attaquer.

Elle serrait fermement sa lame dans la main et conservait son poids vers l'avant, balayant d'un coup de jambe le pirate qui perdit l'équilibre.

Angrath heurta le sol dans un fracassement sourd, et alors qu'il tentait de se redresser, elle lui fit une profonde entaille en travers de la poitrine.

L'homme-taureau rugit de douleur et projeta une nouvelle chaîne sur Huatli.

Légère sur ses appuis, elle dansa d'un pied sur l'autre et esquiva l'attaque avec facilité. Dans l'élan de sa parade, elle changea à nouveau de pied d'appui et lui envoya un puissant coup au menton avec l'autre.

Angrath se tordit de douleur, et Huatli appela Inti, qui observait la scène bouche-bée.

« Inti ! J'ai besoin d'une monture ! »

Elle sentit que derrière elle, son compagnon invoquait un nouveau dinosaure qui lui permettrait de s'échapper.

Elle vit s'envoler dans sa direction une chaîne incandescente venue du sol et se baissa aussitôt, faisant un grand mouvement et changeant son poids de pied pour l'éviter. Elle perdit l'une de ses grèves.

« Derrière toi ! » hurla Inti une fraction de seconde avant que Huatli ne soit heurtée par derrière, s'effondrant au sol face contre terre.

Angrath s'était relevé, jetant un regard aussi noir que sa nature le lui permettait.

Huatli entendit un cri et constata qu'Inti venait d'être désarçonné. Une deuxième chaîne s'enroula soudainement autour de sa jambe, et elle hurla de douleur sous l'effet du lien qui lui calcinait les chairs.

Elle comprit alors que c'était ainsi qu'elle et son cousin mourraient.

Elle essayait de se relever et de faire face à son adversaire lorsque quelque chose dans sa poitrine s'embrasa.

Soudain, Huatli sentit son corps se disloquer sans qu'elle n'en ressente la moindre douleur.

Son regard était assailli par une exhalaison de couleur et de lumière, des myriades de sons bombardaient ses oreilles et elle sentit son corps se détacher. La sensation était chaude et lumineuse, alors qu'elle aurait dû être effrayante. Cela lui semblait le plus naturel du monde. Elle sentit qu'elle s'enfonçait plus avant dans la couleur et la lumière. Et c'est là qu'elle la vit.

C'était une cité aux doux reflets d'or.

Illustration par Adam Paquette
Illustration par Adam Paquette

Des tours et des flèches éclatantes s'étiraient jusqu'au ciel. Un métal scintillant à nul autre pareil libérait un flux de magie semblable à une rivière dans les nuages environnants.

C'était somptueux.

Et soudain, tout disparut.

Elle fut brutalement ramenée en arrière par une force invisible qui la tirait vers la jungle. Quelle que soit la porte qu'elle avait cru franchir, elle s'était brutalement refermée et l'accès lui était interdit. Tout autour d'elle n'était à nouveau plus que couleur et lumière, sons et bruits, jusqu'à ce que son corps se recompose sur le sol de la jungle.

Huatli sentait son cœur battre à ses oreilles, et son regard se porta sur un étrange symbole composé d'un triangle et d'un cercle qui scintillait au-dessus de sa tête.

Elle tenta de reprendre son souffle.

Sa peur reprit le dessus et elle ne tenta plus de respirer.

Elle se rendit compte qu'Angrath était toujours en face d'elle.

Il la dévisageait avec émerveillement, ramenant ses chaînes à ses bras, ses yeux bovins écarquillés sous le choc.

Inti était hébété, mais toujours en vie. Il fixait Huatli et le symbole lumineux qui s'estompait au-dessus d'elle.

Le pirate tendit la main et pointa Huatli du doigt. « Tu en es une toi aussi ! »

Huatli posa une main au sol pour recouvrer l'équilibre. Le sceau avait disparu. Elle remua la tête.

Elle articula quelques mots sans en avoir véritablement conscience. « Je ne sais pas ce qui s'est passé. »

Angrath souriait autant que sa tête bovine le lui permettait. « Je n'en avais encore jamais rencontré d'autre sur ce fichu plan ! On peut s'entraider pour partir ! »

Inti était remonté en selle et avait rapidement fait un tour pour venir se placer derrière la chevalière.

« Huatli, relève-toi ! » lui intima-t-il en lui tendant la main. Elle l'ignora, fixant Angrath du regard, hébétée. Lui aussi tendait la main en signe d'invitation.

Elle le taillada, monta rapidement en selle derrière Inti et ils partirent à toute vitesse, tandis que le cri de douleur d'Angrath résonnait dans la jungle.

Injures et confusion occupaient l'espace mental de Huatli. Il n'y avait pas de place pour une discussion imaginaire posée, l'heure était aux questions incessantes.

Mon corps s'est disloqué et il y avait de la couleur et de la lumière, c'était peut-être une sorte de crise ou une hallucination, mais ce maudit pirate d'Angrath l'a vue aussi, comment peut-il oser croire que je vais l'aider alors qu'il a tué mon dinosaure et tenté de me tuer moi, ô doux soleil qui nous surplombe, mes poumons se sont dissous...

Inti lui posa les questions qu'elle se posait elle-même.

« Ton corps ! C'était de la magie ! Comment as-tu fait ça ? Tu t'es entraînée en secret ?! C'était quoi ce symbole ? Pourquoi ce pirate a cru que tu l'aiderais ?! »

La réponse de Huatli fut approximative, brève et étouffée.

« J'ai vu une cité d'or. »

« Quoi ?! »

« Inti ... J'ai vu Orazca. »


Toutes les connaissances que Huatli pensaient avoir acquises sur le monde qui l'entourait partaient en fumée.

Elle avait non seulement été attaquée par la bête la plus étrange jamais rencontrée, mais son corps s'était dissous, et pendant un court instant, sa conscience avait accédé à de nouvelles perceptions avant d'être renvoyée dans son monde.

C'était comme tenter de rester sur un rondin descendant une rivière, comme si elle avait tourné en rond et était à présent incapable de retrouver son équilibre. Le sol s’était dérobé sous elle, et toutes ses certitudes sur la réalité étaient bouleversées.

La nuit tombait quand elle regagna la cité, et Huatli se rendit immédiatement à la résidence de l'empereur.

Elle avait besoin de prendre conseil auprès de la seule personne qui garderait le secret sur ce qu'elle avait vu.

Les gardes la reconnurent immédiatement, et la laissèrent entrer dans le plus haut bâtiment de Pachatupa, s'inclinant en signe de respect. Leur solennité mit Huatli encore plus mal à l'aise.

Un serviteur guida l'empereur Apatzec vers un espace de réunion formel. Une gravure du soleil dominait le plus grand des murs, le clair de lune se reflétant sur l'ambre incrusté dans la pierre. L'empereur semblait aussi posé qu'à l'accoutumée, bien que sa cape en plumes de dinosaure ait laissé place à une robe moins formelle.

« Huatli, qu'est-ce qui te mène à moi en cette heure ? »

La jeune femme sentait toujours son cœur battre la chamade dans sa poitrine. « J'ai vu une chose que je n'ai pu comprendre. »

« Un rêve ? » demanda l'empereur. Son visage acerbe trahissait l'égard qu'il accordait aux rêves.

« Non. Je n'y aurais cru si je ne l'avais vue de mes propres yeux. »

L'empereur leva une main vers sa bouche en signe de réflexion. « Raconte-moi ce qui s'est passé. »

Ils s'assirent aussi simplement que des amis l'auraient fait, et Huatli lui conta l'incident du mieux qu'elle put.

L'empereur l'écouta patiemment, buvant quelques gorgées de la tasse de xocolātl qu'il avait fait mander quand il avait pressenti que cette histoire serait à nulle autre pareille. Il hochait la tête avec compréhension à chaque retournement de situation.

« Qu'as-tu ressenti ? » demanda-t-il.

« Que je n'avais pas le droit de partir. Comme si j'avais entrouvert une porte, mais qu'à peine la tête passée, j'étais tirée vers l'arrière. »

« Quelque chose t’empêchait de partir ? Inti et moi sommes les seuls à savoir ce qui s'est passé ? »

« Oui, et oui, empereur. »

« Apatzec, je t’en prie. Je ne porte pas ma cape d’empereur. »

Huatli le regarda, épuisée.

L'empereur hocha la tête et sourit. « Tu es incroyablement courageuse, Huatli. »

« Avec tout le respect que je te dois, mon empereur, je n'en ai pas l'impression. »

L'empereur Apatzec reposa sa tasse et la regarda avec bienveillance.

« Le Soleil s'exprime sous trois aspects. Créativité, destruction et subsistance. Tes dons ont toujours été caractérisés par les deux premiers, et il semble que tu dois à présent explorer le dernier. »

« Empereur, que veux-tu dire ? »

L'empereur semblait enthousiaste. « Ma mère était vieux jeu et obstinée. Elle préférait partir à la chasse aux légendes dans la jungle que sécuriser son pouvoir de manière active. Même si je pense qu'il serait imprudent d'envoyer une armée toute entière à la recherche du pouvoir détenu au cœur d'Orazca, il me semble utile d'envoyer notre chevalière la plus talentueuse, surtout si c'est le destin qui l'appelle. »

« ... Empereur ? »

« Ce que tu as vu est la preuve de ton mérite. Huatli de l'Empire du Soleil, la cité d'or que tu as vue ne peut être que la cité perdue d'Orazca. Tu dois partir à sa recherche et trouver le moyen de renforcer notre empire grâce au pouvoir qu'elle renferme. »

Huatli serrait les poings, inquiète. «  Mais, excellence, un poète guerrier ne peut partir en expédition. Je n'étais pas faite pour partir en expédition. »

« Mais tu l’as fait. Donc le poète guerrier le fera. »

Huatli eut le souffle coupé. Avait-il vraiment voulu dire ce qu'il avait dit ?

L'empereur se leva et se rendit de l'autre côté de la pièce. Il décrocha un casque suspendu au mur, et marcha vers Huatli.

C'était le casque du poète guerrier.

Le cœur de Huatli battait la chamade.

Apatzec rayonnait de fierté. « Huatli. Le titre de poétesse guerrière est à toi si tu peux localiser la cité d'or d'Orazca. »

Huatli expira en tremblant.

Tout ce qu'elle avait toujours désiré reposait sur la localisation d'un endroit qui était plus mythique que réel.

L'empereur retourna le casque dans sa main. La lumière des lampes de la pièce se réfléchissaient sur l'ambre du casque, illuminant son visage d'un doux halo doré.

« C'est une nouvelle ère pour notre empire. Aucun poète guerrier de notre histoire n'a vu la cité d'or. » Il réprima un large sourire. Cela rend mon règne très particulier.

Huatli sourit et se releva. Elle redressa les épaules et regarda l'empereur droit dans les yeux. « Je trouverai Orazca, empereur, et j'y prendrai le Soleil immortel pour la gloire de l'Empire du Soleil. »

L'empereur Apatzec lui sourit en retour. « Une nouvelle aube va se lever sur notre empire, poétesse guerrière. »


La résidence des guerriers était séparée du reste de la ville par un simple mur. C'est là qu'elle et les autres chevaliers s'entraînaient, mangeaient, dormaient et planifiaient la défense de la cité. D'autres régiments se consacraient aux conquêtes et à l'expansion de l'empire, mais ici, l'objectif était avant tout de protéger les terres que l'Empire du Soleil contrôlait déjà. Huatli avait grandi ici, auprès de parents aimants qui étaient eux aussi chevaliers. C'était le seul foyer qu'elle ait jamais eu, et elle en connaissait les moindres recoins et passages. Elle se glissa par l'un de ces derniers.

« Huatli ? »

Inti jeta un coup d'œil alentour. L'inquiétude se lisait sur son visage. « As-tu dit à l'empereur ce que tu as vu ? »

Huatli opina du chef.

Ne sachant que faire d'autre, son cousin acquiesça à son tour. « C'est... une bonne chose. Tu vas mieux maintenant ? »

Huatli hocha la tête et haussa les épaules, un ensemble disparate de gestes qui reflétaient assez bien son état.

« Oui. Non... » finit-elle par avouer.

Inti la prit par les épaules et la mena vers la salle commune des guerriers. Elle était vide et silencieuse, le reste du régiment était allé se coucher de longues heures auparavant. Il lui versa un verre à l'arôme riche et aigre qui avait en plus un aspect laiteux déplaisant. Si c'était effectivement bon pour l'âme, comme l'avait affirmé Inti, cela n'était certainement bon pour rien d'autre. Huatli en était convaincue. Inti attendit qu'elle en ait bu un peu et qu'elle récupère le contrôle de sa respiration avant de préparer un cataplasme pour la blessure sur sa jambe.

« Es-tu sûre de ce que tu as vu tout à l'heure ? Quand tu... t'es... » Inti fit un signe de la main au-dessus de sa tête pour rappeler au mieux l'épisode du sigille.

Huatli hocha la tête.

« J'ai vu une cité d'or. » Elle avala le breuvage et observa Inti.

Il la regarda impassible alors qu'il étalait le cataplasme sur sa cheville. « Tu as vu une cité d'or ? »

Huatli sentit ses joues s'empourprer. « Oui. »

Inti noua un bandage propre autour du cataplasme et s'assit, plongé dans ses réflexions. Il finit par rompre le silence. « Était-ce la cité d'or ? »

Huatli le regarda d'un air confus. « Personne ne sait à quoi ressemble Orazca, alors je suppose que c'était la cité d'or. »

« Ça se tient. »

Inti exprima sa désapprobation. Il enroula le bandage supplémentaire dans sa main. « L'empereur t'a demandé de la trouver ? »

« Il m'a dit que j'obtiendrai le titre de poétesse guerrière si je localise la cité. »

Inti fut visiblement surpris.

Il expira longuement et hocha la tête. « C'est une grande récompense. »

« Je sais. »

Inti se rassit sur le tabouret. Huatli leva le pied et s'assit à côté de lui. Il commença à ôter le bandage autour de sa cheville, révélant la peau parfaitement guérie qu'il recouvrait. Sa pratique de la magie curative lui réussissait.

Huatli inspira profondément. « Inti, c'est le genre de responsabilités que je n'ai encore jamais eue. Je ne veux pas y aller seule. »

« Tu n'as pas besoin de le faire, déclara-t-il. Teyeuh et moi pouvons partir avec toi. Nous te mènerons à bon port saine et sauve. »

« Je ne sais pas comment m'y rendre ? » La déclaration, mêlée d'inquiétude, s'était muée en question.

Inti haussa les épaules, confiant. « Les Hérauts de l'onde le savent. Sinon pourquoi seraient-ils si prompts à conserver leur territoire ? »

Huatli baissa les yeux. « Je me suis entraînée toute ma vie pour obtenir ce titre, mais partir à l'aventure à la recherche d'une cité plus mythique que réelle ne faisait pas partie du plan. »

« Veux-tu vraiment partir ? Ou veux-tu simplement le titre qui vient avec le succès ? » demanda-t-il.

La réponse s'étrangla dans sa gorge, et sa réaction la surprit. Elle l'exprima néanmoins à voix haute.

« Je veux trouver la cité. »

Son cœur battait de façon erratique. Être une exploratrice la terrifiait, c'était un concept étranger à tout ce qu'elle avait pensé être. Et pourtant, elle ne pouvait réprimer sa fébrilité à l'idée de faire autre chose que ce qui lui était connu et aisé.

« Je n'avais jamais pensé pouvoir être autre chose que ce que je suis, Inti. Je veux être plus que cela. »

« Tu l'es déjà, cousine, répondit Inti en se relevant. J'irai chercher Teyeuh et lui expliquerai la situation. Nous serons prêts à monter en selle au lever du soleil pour chercher un Héraut de l'onde enclin à nous guider. »

Il marcha vers l'armurerie, s'arrêta et regarda par-dessus son épaule.

« Poétesse guerrière devineresse ? »

Huatli réfléchit un moment. « Poétesse guerrière pérégrine ? » proposa-t-elle.

Inti considéra la proposition et en exposa une à son tour. « ... Poétesse guerrière chef d'expédition au corps qui se dissout ? »

« Il ne font pas de casque pour cela, Inti. »

« Pas encore », répondit-il, le sourire aux lèvres.

Inti sortit et Huatli se retrouva seule.

Elle était terrifiée et débordait d'enthousiasme. Il lui fallait relever un défi plus intimidant que jamais.

Alors elle sourit.

Au bout d'un moment, elle se rendit à sa couchette.

Reposant sur son hamac, elle essaya de se remémorer la couleur, la lumière et les sons perçus plus tôt dans la journée. Elle avait senti chaque partie de son être s'illuminer et se briser, et bien qu'elle ait vu son corps se dissoudre, elle n'avait été nullement effrayée. Elle avait même ressenti une certaine allégresse. Elle posa une main sur sa poitrine et ferma les yeux, se souvenant de la lumière claire et éclatante du soleil qui se reflétait sur l'or des toits de la cité, de l'éclat éblouissant du ciel et des nuages. Elle n’avait jamais rien vu de tel.

Elle n'était pas voyante, pourtant elle avait vu. Elle n'était pas pérégrine, pourtant elle allait à présent devoir voyager. Huatli était deux choses, et aucune des deux ne semblait correspondre au destin qui l'attendait.

Elle ferma les yeux et remit de l'ordre dans son esprit agité. Ses rêves étaient mouchetés d'or, reflétant les couleurs d'un endroit qu'elle seule avait vu. Le rêve se transforma et prit la forme d'une prophétie. Elle se vit telle qu'elle deviendrait.

Elle était chevalière et oratrice.

Désormais, elle était aussi exploratrice.

Illustration par Tyler Jacobson
Illustration par Tyler Jacobson

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