HUATLI SUR KALADESH

Huatli ne pouvait s'empêcher de sourire.

Elle se retrouvait dans une ville comme elle n'en avait jamais vue. L'air chaud lui rappelait son monde, mais la similitude s'arrêtait là. Cette cité vibrait de créativité et d'ingéniosité et Huatli s'émerveillait à la vue des bâtiments, des appareils et de toutes ces . . . choses . . . que ces gens avaient fabriquées. Des sphères dans lesquelles on pouvait se déplacer ! De petites créatures de métal qui livraient des paquets ! Elle déambulait dans un marché où flottaient des senteurs d'épices aussi inconnues qu'étranges et observait le passage dans le ciel de mystérieux courants azurés. Dans ces rues, les habitants marchaient vite et parlaient encore plus rapidement. Les étals de leur marché étaient surchargés de magnifiques inventions différentes de tout ce que Huatli avait pu voir jusque là. Des représentants de différentes races se côtoyaient : des humanoïdes de petite taille, de grandes créatures à peau bleue (et qui possédaient six doigts à chaque main !) ainsi que des êtres d'un noir de charbon dont l'épiderme semblait éclairé de l'intérieur par une flamme d'un bleu intense. Huatli était enchantée d'avoir l'occasion de croiser toutes ces personnes.

Aucun de ses tamales n'ayant survécu au voyage (dans l'espace métaphysique séparant Ixalan et cet endroit, ils avaient tous été réduits en une poussière incomestible), elle avait dû échanger un morceau d'ambre ramené de son monde contre une bourse pleine de pièces de monnaie à l'aspect étrange. Elles tintaient dans le pochon au rythme de ses pas et elle se demandait si, dans cet endroit bouillonnant d'animation, elle pourrait trouver une auberge qui accepterait de l'accueillir pour la nuit.

Alors qu'elle traversait la ville, des regards étonnés se posaient sur elle, mais ils étaient rapidement suivis de compliments sur les motifs ornant son armure.

« Quel savoir-faire ! Qui est votre artificier ? » lui demandait-on. Huatli souriait avec joie et lançait en guise de réponse : « Un artificier ? J'ignore totalement de quoi il s'agit ! »

Elle demanda à un boutiquier de lui conseiller un endroit à visiter absolument. Les instructions du commerçant la conduisirent jusqu'à une grande place ouverte au centre de la cité. Là se tenait une exposition où se pressait une foule jouant des coudes pour apercevoir la scène dressée sur la place et flanquée d'une grande tente.

Huatli repéra un groupe qui ne quittait pas la scène des yeux. Chacun de ses membres tenait un bloc de feuilles et de quoi écrire. Elle sut tout de suite qu'elle avait trouvé ceux qu'elle cherchait et alla s'asseoir à côté d'eux, une feuille de papier et un crayon en main.

Une silhouette avança sur la scène. Sa peau charbonneuse était parcourue de profondes entailles qui laissaient s'échapper la lueur bleue et tournoyante qu'elle recouvrait. Le nouveau venu était vêtu de soies opulentes qui pendaient avec élégance de son corps étrange en pleine déliquescence. Il salua de la main et la foule l'ovationna. Les scribes commencèrent à prendre des notes en posant des questions. L'ambiance qui régnait transportait Huatli de joie. D'un nouveau geste de la main, l'orateur imposa le silence avant de désigner d'un mouvement théâtral un objet couvert d'un tissu et posé à l'extrémité de la scène.

« Bienvenue à vous, distingués visiteurs ! »

Son ton léger et enjoué captivait l'attention de la foule entourant Huatli.

« Comme beaucoup d'entre vous, j'ai consacré ma vie à améliorer les existences de ceux qui m'entourent. La culture des éthériens a pour fondement de profiter au maximum du temps qui nous est accordé et de célébrer la glorieuse extase d'être vivant. Toute chose a une fin. Imaginons maintenant que cette fin devienne plus douce pour ceux qui sont appelés à la rencontrer plus tôt que prévu. »

Un murmure parcourut l'audience quand la personne (l'éthérien ?) souleva la pièce de tissu qui dissimulait l'objet, révélant ainsi une boite dorée finement travaillée.

« Je vous présente le régulateur d'éther, un appareil qui n'est pas conçu pour réguler l'énergie des machines qui tirent leur énergie de l'éther, mais destiné aux êtres qui en sont composés. Il s'agit d'un instrument médical conçu pour alléger les pénibles symptômes de la dissipation et pour permettre aux éthériens de reprendre leur place au sein du Cycle de l'Éther à l'issue d'une transition plus digne et moins douloureuse. »

Des applaudissements enthousiastes déferlèrent du public tandis qu'autour de Huatli on prenait des notes avec fébrilité.

La Poétesse guerrière était subjuguée. Elle se concentra afin de bien comprendre ce que l'inventeur venait d'expliquer et cette fusion entre science et empathie l'émerveilla. Elle avait tant de questions à poser. Comment cela fonctionnait-il ? Le Cycle de l'Éther ? De quoi s'agissait-il ? Que pouvait lui apprendre cet appareil au sujet d'un groupe de personnes dont elle ignorait l'existence quelques instants plus tôt ? Sentant qu'on tirait l'une de ses manches, Huatli se retourna pour faire face à une femme approximativement de son âge qui l'observait.

Saheeli Rai
Saheeli Rai | Illustration par Willian Murai

Avec un air inquiet, l'inconnue se pencha vers Huatli et lui glissa à l'oreille : « Êtes-vous d'ici ? »

Huatli secoua la tête. « Non ! Je viens . . . de loin. »

La femme détourna le regard puis revint sur la guerrière et, après s'être penché encore plus près, lui glissa : « De loin ? Voulez-vous dire d'un autre plan ? »

Huatli sourit. « Vous êtes un Planewalker, vous aussi ? » s'enquit-elle avec entrain.

« Pas ici ! » commanda son interlocutrice avec un signe préoccupé de la main avant de l'éloigner de la scène.

Ensemble, elles traversèrent la foule avec difficulté car des badauds arrêtaient sans cesse cette dame pour lui demander des autographes. Malgré cela, les deux femmes atteignirent bientôt un parc situé tout près. D'imposantes statues bordaient le pavillon et Huatli interpréta leurs poses résolues comme un hommage envers les réalisations importantes des personnages représentés.

« Je vous prie de bien vouloir excuser mon intrusion » commença l'inconnue. « Je m'appelle Saheeli. Votre tenue est incroyable. J'ai tout de suite eu l'intuition que vous étiez un Planeswalker, vous aussi. »

« Ravie de faire votre connaissance, Saheeli. Mon nom est Huatli et c'est la première fois que je me retrouve loin de mon monde », confia la guerrière en retour. « Comment se nomme celui-ci ? »

« Ce plan s'appelle Kaladesh et cette ville, Ghirapur. Vous avez choisi le moment idéal pour venir ici. D'où êtes-vous originaire ? »

Huatli réfléchit un instant avant de s'asseoir sur un banc. Les arabesques des volutes bleues qui traversaient le ciel attiraient son attention. « Le continent d'où je viens s'appelle Ixalan. J'imagine donc que c'est aussi le nom de mon plan. »

« Ixalan ? Je n'en ai jamais entendu parler, reconnut Saheeli dans un sourire. À quoi cet endroit ressemble-t-il ? »

Huatli réfléchit. Comment pouvait-elle décrire son monde à quelqu'un qui ne l'avait jamais vu ?

Je ne connais qu'une façon de le faire.

« C'est une contrée aussi éblouissante que l'est le soleil.
L'air lui-même est chargé de lumière,
Et le sol sombre regorge de vie.
Des arbres sans fin bordent des paysages s'étendant à perte de vue
et des dinosaures répondent aux chants de mon peuple. »

À ces paroles, Saheeli écarquilla les yeux de curiosité. « Qu'est-ce qu'un dinosaure ? »

Huatli fronça les sourcils. « Des écailles ? Des plumes ? »

Saheeli écoutait attentivement, mais semblait ne rien comprendre.

« Certains ne vous arrivent pas au genou alors que d'autres dépassent les bâtiments les plus hauts ? ajouta Huatli Vous n'en avez pas, par ici ? »

« Non, mais j'adorerais en fabriquer un ! déclara Saheeli en souriant et en aidant Huatli à se relever du banc. Retournons à mon atelier sans attendre et vous pourrez m'en décrire un en détail. J'avais bien besoin de me consacrer à un nouveau projet d'artificier ! »

Huatli se laissa entraîner sans protester et lui accorda même un sourire avant de demander : « Pourrai-je vous aider ? »

« Mais bien entendu ! C'est vous, l'experte. Je tiens à tout savoir sur les dinosaures ! »

Huatli était ravie.

Elle se trouvait exactement là où il fallait qu'elle soit.

Les deux Planeswalkers retournèrent à l'atelier de Saheeli d'un pas allègre et Huatli profita du trajet pour parler de son monde à Saheeli.


ANGRATH

Tout était semblable au souvenir qu'il en avait.

La route, poussiéreuse et large, était jalonnée de loin en loin par des magasins fondés bien avant sa naissance. L'endroit semblait dormir calmement et Angrath se réjouit que si peu de choses aient changées.

Une petite colonne de fumée montait de sa fonderie. À l'extérieur d'une vitre, on avait peint le mot « OUVERT » en lettres capitales. L'édifice n'était guère plus qu'une hutte située aux limites du village, mais cela avait été sa hutte aux limites du village. Du fer et d'autres métaux étaient empilés à l'extérieur alors que de nombreux équipements et des armes étaient pendus dans un râtelier. Chacun de ces objets portait une étiquette indiquant à quelle commande il correspondait.

L'oreille d'Angrath pointa quand il entendit le battage du métal et le sifflement de l'eau qui s'évapore venant de l'intérieur.

Il s'approcha et ses chaînes tintèrent à chacun de ses pas.

Pour passer sous le chambranle de la porte, le minotaure dut baisser la tête (il aperçut en passant les marques qu'avait conservé la poutre à chaque fois qu'il avait oublié de le faire) et s'arrêta, cherchant du regard le forgeron au travail.

Deux minotaures levèrent les yeux de leurs enclumes. Elles étaient aussi grandes que l'avait été leur mère. Toutes deux portaient d'épais tabliers de cuir et leurs cornes étaient ornées des bijoux traditionnellement réservés aux femmes célibataires de leur âge.

Elles écarquillèrent les yeux. Celle de droite ne put retenir un reniflement étonné tandis que les oreilles de l'autre s'étaient dressées de surprise.

La minotaure de droite huma l'air avant de se mettre à trembler d'émotion. « Père ? »

Un volute de vapeur s'éleva dans un petit sifflement à l'endroit où les larmes d'Angrath rencontrèrent sa peau, , mais, en même temps, un sourire naquit sur ses lèvres.

« Rumi. Jamira. Je suis rentré. »


VRASKA

Comme elle ne l'avait pas fait depuis longtemps, franchir les Éternités aveugles fut pour elle une expérience presque inédite. Elle avait traversé à l'instant même où le portail planaire s'était refermé et, alors qu'elle quittait à peine Ixalan, voilà qu'elle se tenait dans ses quartiers, sur Ravnica.

Il régnait dans la pièce l'odeur familière qu'on ne trouve que chez soi. Vraska était particulièrement fière d'elle-même.

Elle se dirigea immédiatement vers son fauteuil préféré et ramassa le livre d'histoire qu'elle lisait à l'endroit au moment où elle avait dû partir. Une nouvelle lettre était coincée entre ses pages.

Seuls trois mots y étaient inscrits d'une écriture familière et élégante : « Plan de méditation ».

La gorgone sourit. Elle ôta sa veste avec entrain et entreprit d'enlever ses vêtements tachés de transpiration (après tout, rien ne pressait...). Elle ramassa son livre et le rangea dans sa bibliothèque. Alors qu'elle le glissait à sa place sur le rayonnage, le regard de Vraska se posa sur un titre qu'elle n'avait pas lu depuis longtemps. Elle considéra l'ouvrage en question puis le descendit de son étagère et le déposa d'un geste machinal sur la table à côté de son fauteuil.

Il faudrait qu'elle attende d'être revenue de son face-à-face avec le dragon pour l'ouvrir.

Enfin prête à partir, elle pénétra dans une déchirure sombre qui flottait dans l'air et se tranplana jusqu'au Plan de méditation.

Nicol Bolas l'attendait.

Vraska atterrit dans l'eau désormais familière, enfermée dans une cage magique. Elle lança le même sort de déverrouillage que lors de sa première visite et les barreaux disparurent.

Ses yeux se posèrent alors sur le dragon qui la regarda en retour.

« J'ai fait ce que tu m'as demandé, annonça Vraska. Vois par toi-même. »

Ce qu'il fit.

Nicol Bolas ausculta le moindre recoin de l'esprit de la gorgone avec une minutie qu'elle pouvait ressentir. En un clin d’œil, il observait chaque détail des souvenirs qu'elle s'était forgé sur Ixalan puis les passait à nouveau en revue. La sensation fit grimacer Vraska. C'était comme si on lui récurait l'âme.

Intérieurement, la gorgone voyait le dragon qui contemplait l'ensemble de sa mémoire comme s'il s'était agi d'un tableau. Elle n'y voyait aucun inconvénient car ce qu'elle avait accompli la rendait particulièrement fière.

Elle se souvenait de son périple en solitaire pour remonter la rivière . . .

d'avoir plongé sans hésitation dans ce cours d'eau qui traversait la ville . . .

d'avoir observé un sphinx ravageant Orazca . . .

Sphinx's Decree
Décret du Sphinx | Illustration par Daarken

et de se tenir au sommet du Soleil immortel pour transformer ledit sphinx ainsi que des dizaines d'autres ennemis en or.

Comme elle se souvenait de tout dans les moindres détails, Vraska était sereine à l'idée de soumettre sans retenue son esprit à l'inspection de Nicol Bolas.

Soudain, l'impression disparut. Le dragon libéra son esprit et, alors qu'il se retirait, elle constata qu'il était de toute évidence enchanté de la manière dont elle avait mené sa mission.

Nicol Bolas irradiait pratiquement d'aise.

Ses griffes tressaillaient de plaisir.

« Beau travail, Vraska, dit-il. Que ta loyauté soit récompensée. »

Désormais en pleine possession de ses moyens, Vraska fronça les sourcils en sentant le poids d'un objet dans sa poche.

« C'est un cadeau, fidèle exécutrice. Tu as gagné un royaume dont tu pourras faire ce que tu voudras. »

« Je te remercie de ta confiance. »

« C'est moi qui te remercie. J'apprécierais énormément de travailler à nouveau avec toi à l'avenir. »

« Tu sais comment me contacter » lui répondit Vraska avec un sourire très professionnel.

D'un geste, Nicol Bolas lui signifia qu'ils en avaient terminé et la gorgone prit congé.

Leur entrevue n'avait duré que quelques minutes. Revenue chez elle à Ravnica, Vraska ressentit comme une certaine . . . confusion.

Bien que Bolas se soit montré pleinement satisfait, elle ne pouvait pas se défaire de l'idée qu'il avait raté quelque chose d'important . . . ou était-ce elle qui se méprenait ? Son malaise était bien réel, même si elle était incapable de mettre le doigt sur ce qui la perturbait . . . et pourquoi.

Elle décida de ne plus y penser. Le dragon avait obtenu ce qu'il désirait, tout comme elle. Elle plongea la main dans sa poche et en tira un petit bout de papier.

Les mots « IL EST SEUL ET EMPRISONNÉ ICI » y étaient inscrits de la même écriture déliée que les messages précédents envoyés par Nicol Bolas. « FÉLICITATIONS, CHEF DE GUILDE VRASKA. » Le lieu indiqué sous le message se trouvait dans un quartier peu peuplé de la ville. C'était l'endroit parfait pour faire subir à toute vermine le châtiment qu'elle méritait.

Vraska sourit et se dirigea vers son évier. La soirée s'annonçant amusante, la gorgone tenait à se préparer du mieux possible, tant physiquement que mentalement, avant de partir. La tâche qui l'attendait pouvait bien attendre quelques heures.

Elle se nettoya le visage avec un chiffon, mit sa bouilloire à chauffer sur sa cuisinière, ouvrit les mémoires qu'elle avait sorties de sa bibliothèque auparavant et réfléchit à ce qu'elle allait dire à Jarad avant de le pétrifier.


JACE

À l'instant où le Soleil immortel avait disparu, Jace s'était rendu invisible et avait regardé Vraska qui se transplanait. Une fois l'artéfact parti, un alignement de visages familiers s'était penché à travers le plafond par le trou qu'il avait laissé. Indétectable, Jace les avait observé alors qu'ils se chamaillaient avant de s'éclipser.

Malcolm et Grègues se trouvaient encore dans la pièce située à l'étage du dessus. Le mage établit le contact avec celui qu'il considérait comme le plus fiable des deux, Malcolm, afin de lui envoyer un message simple. Au-dessus de lui, il sentit le marin se figer.

La capitaine va bien, mais elle est partie loin d'ici, pensa Jace en choisissant ses mots avec soin. Je dois également m'en aller quelque temps. Veille à dire à l'équipage à quel point vous comptez pour moi.

Tu feras toujours partie de cet équipage, Jace,répondit une douce voix de ténor dans l'esprit du mage. Tu étais un excellent pirate.

Qui a dit que j'allais arrêter ma carrière ? répliqua mentalement Jace dans un sourire. Fais-en-leur baver, Malcolm.

Toi de même, Jace.

Le télépathe interrompit la connection. Il eut alors l'impression que le pirate s'éloignait en même temps que l'empreinte de son esprit s'estompait.

Il resta à observer jusqu'à ce que tout le monde ait quitté la salle d'Azor, puis s'autorisa à redevenir visible.

Jace savait qu'il devait se rendre sur Dominaria, mais il marqua une pause.

L'air du soir d'Ixalan s’immisçait jusque dans le sanctuaire. Les cris des oiseaux nocturnes et des dinosaures se mêlaient aux bourdonnements des insectes dans le soleil couchant.

Ses pensées vagabondèrent vers la promesse d'un café et d'un bon livre. À cette seule évocation, il sentit l'allégresse l'envahir. Il repensa à la voix assurée de sa capitaine et à cette confiance en elle-même acquise malgré les terribles talents avec lesquels elle était née (enfin quelqu'un capable de comprendre quel fardeau cela représentait) Elle était prête à tout pour le bien de sa communauté et avec sacrifié une large part d'elle-même pour que Ravnica survive.

Elle était extraordinaire.

Et elle le trouvait fantastique, lui aussi.

Jace sourit intérieurement et jeta un regard sur le sanctuaire autour de lui. C'était une salle magnifique, si on faisait abstraction du trou béant dans le plafond. Ixalan était un endroit étrange, à la fois merveilleux et cocasse. Le mage se prit à espérer qu'il reviendrait un jour avec Vraska. Retrouver l'équipage du Belligérant. Participer encore à quelques raids pour le plaisir. Mais tout cela allait devoir attendre, car il ne voulait pas connaître le même sort qu'Azor.

Jace baissa les yeux et observa sa peau.

Il avait bronzé, c'était indéniable. Ces écorchures, ces nouvelles cales sur ses mains, ces muscles (bon sang, des muscles ?)... Il avait gagné tout ça. Pour la première fois de sa vie, Jace se sentait fier de son corps. Il allait devoir faire en sorte que cela dure et Gideon allait l'aider dans ce sens, lui qui, depuis un an, tentait d'imposer à Jace de faire de l'exercice.

Une pensée interrompit le mage dans son élan intérieur. Que suis-je supposé dire lors de ma rencontre avec les Sentinelles ?

Il sentit la panique s'emparer de lui. L'un d'entre eux connait-il Vraska ? Et s'ils sont déjà occupés par autre chose ? Et s'ils sont déjà partis ailleurs et que je ne parviens pas à les retrouver pour leur parler de Ravnica ? Que faire s'ils sont retournés sur Innistrad, Kaladesh ou Zendikar ? À moins qu'ils soient avec Ugin ?! Qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire à Ugin, bon sang ?! « Au fait, au sujet de ton ami... Mais, si tu sais bien, celui auquel tu n'as plus parlé depuis mille ans. Eh bien, maintenant il est sur une île car il est devenu redoutable. D'ailleurs, tu essayais de te servir de moi pour attirer Bolas sur Ixalan afin de l'emprisonner, n'est-ce pas ? Qu'est-ce qui t'a poussé à renoncer sur Tarkir ? Est-ce que tout ce que tu as fait dans ton existence avait vraiment comme unique but de vaincre Nicol Bolas ? Si c'est le cas, nous aurions besoin que tu fasses de sérieux efforts. »

Jace se sentit incroyablement petit. Aucune de ces questions ne l'aiderait plus, désormais, pas plus que ses jérémiades ne protègeraient son monde. Il avait choisi de laisser ses interrogations de côté et de faire passer Ravnica avant tout. Il était le Pacte des Guildes vivant, mais il était également plus que ça. Ses lèvres se tendirent en un demi-sourire. Je suis celui qui échafaude un plan afin qu'une capitaine pirate puisse trahir un dragon. Voilà qui je suis.

L'obscurité avait envahi la salle d'Azor. De petites lueurs dansaient dans la jungle, au loin, et la lumière de la lune baignait la canopée.

Il ne pouvait plus reculer l'échéance.

Le transplanement était une opération délicate et imparfaite. Normalement, on ne pouvait atteindre sa destination qu'à condition d'y être allé auparavant Le plus souvent, le voyage vers un plan inconnu s'accomplissait en se focalisant sur un Planeswalker qu'on connaissait. Instinctivement, Jace envisagea de rejoindre ses amis sur Dominaria en se concentrant sur Liliana, mais le simple fait de penser à elle l'en empêcha. Ce qu'il ressentait pour la nécromancienne à ce moment ne ressemblait en rien à de l'affection. C'était bien plus équivoque que ça, comme un lien faible et vieillissant qui les unissait mais ressemblait désormais plus à de la crainte qu'à de la tendresse. Tout ce qui la concernait le mettant mal à l'aise, il préféra se concentrer sur les autres.

La bonté radieuse et ardente de Gideon brillait à travers les Éternités aveugles. Le Planeswalker décida de viser la source de cette clarté.

Il sentit sa forme physique scintiller et se dissiper, puis il fit un pas dans l'Éther, accueilli par un son et une lumière à laquelle il était habitué.

Omniscience
Omniscience | Illustration par Jason Chan

Mais quelque chose n'allait pas.

La position de Gideon sur Dominaria changeait en permanence, pas à la vitesse d'un homme en marche ou sur le dos d'une monture, mais avec une rapidité qui dépassait l'entendement.

Comment fait-il pour se déplacer ainsi ?!

Son cœur se mit à battre la chamade à l'instant où il comprit qu'il allait avoir besoin de corriger sa visée.

Jace ajusta alors sa trajectoire dans l'Éther en gardant la position de Gideon comme point de mire et en modifiant à la volée sa vitesse de déplacement. Il plaqua ses bras le long de son corps et cala sa vélocité sur celle de cette cible sur laquelle il allait finir par atterrir, quelle qu'elle puisse être. Il sentit alors approcher le voile de Dominaria.

Bien entendu, Jace ne pouvait pas voir sa destination, mais il avait une idée d'ensemble de la taille et de la forme de ce qu'il visait. Toutefois, il marqua une nouvelle pause car Gideon semblait se déplacer à très haute vélocité. Le mage lâcha un juron et ajusta sa trajectoire une fois de plus. MAIS ENFIN ?!! SUR QUOI SE DÉPLACE-T-IL ?

Jace avait parfaitement conscience que s'il ne faisait pas preuve de la plus grande précision, il pourrait se transplaner dans un objet ou juste devant sa cible un instant avant que celle-ci ne le percute.

Un concert ininterrompu de jurons montait des quelques zones de son cerveau qui n'étaient pas concentrées sur sa trajectoire. Distraitement, il se dit que Vraska aurait sans doute été très fière de constater combien son vocabulaire s'était enrichi.

Il pouvait percevoir sa cible, Gideon, à travers l'Éther et prit soin de ralentir suffisamment afin de ne pas se matérialiser dans de la matière solide.

Jace s'extirpa de l'Éther avec énergie et se rattrapa immédiatement à une paroi. Il lâcha une longue expiration avant d'inhaler l'air d'un nouveau plan.

La première chose qu'il entendit fut le craquement du bois et le ronronnement calme d'une machine.

Il réalisa alors qu'il avait atterri dans quelque chose de légèrement gluant et leva les yeux pour regarder autour de lui.

La pièce était pleine de personnes qui l'observaient.

Reprenant son souffle, Jace salua l'assemblée de la main, visiblement embarrassé.

« Bien le bonjour. Ça va ? Navré je ne m'attendais pas vraiment à atterrir de la sorte, se justifia-t-il, pantelant. Votre vitesse m'a forcé à ajuster la mienne sans arrêt. » Il fit un effort pour calmer la nervosité qui agitait ses membres puis continua dans un rire : « Bon sang ! Je ne m'étais encore jamais transplané sur un objet en mouvement. D'ailleurs, à bord de quoi voyageons-nous ? Quel est son moyen de propulsion ? À quelle vitesse nous déplaçons-nous ? » Tout en décochant ses questions d'une voix essoufflée, il désignait vaguement du doigt la structure qui l'entourait.

Le regard de Jace passa d'un visage à l'autre sans trouver la moindre trace de compréhension. Il entendit alors des pas rapides sur le métal avant de voir Gideon surgir d'une porte proche en glissant avant de s'immobiliser, les yeux écarquillés, une émotion profonde se lisant sur son visage. Ses traits étaient ceux de quelqu'un ému aux larmes de le voir en vie, ceux d'un véritable ami.

Jace lui sourit avec allégresse et lança : « Gideon ! Eh oui ! Je ne suis pas mort ! »

Il vit alors le mage blanc bondir en avant pour le prendre dans ses bras, mais l'une des autres personnes présentes s'interposa brutalement. Elle semblait avoir dans les soixante-dix ans, portait une tunique faite d'un épais tissu rouge et ses cheveux d'argent crépus étaient rassemblés sur le côté dans une natte relâchée. Elle contempla Jace de haut en bas alors qu'un sourire amusé naissait aux commissures de ses lèvres. Cete inspection terminée, elle jeta un regard par-dessus son épaule en direction de Gideon et leva un sourcil.

« Et qui est ce rat de bibliothèque ? »


Apatzec souriait en regardant son xocolātl tanguer d'un bord à l'autre de sa tasse. Chacun des pas pesants du sauropode sur le dos duquel était arrimée sa plate-forme envoyait le liquide taquiner le contour du gobelet avant que la gravité ne le ramène de l'autre côté au pas suivant. La marche du dinosaure battait à un rythme lent mais régulier qui allait de pair avec celui du cœur de l'Empereur Apatzec III.

Une partie de lui-même se demanda si les Hérauts de l'onde envisageraient de prendre Orazca en premier, mais il se souvint à quel point ils étaient pleutres. La tâche s'annonçait facile.

Pour faire le voyage jusqu'à Orazca, la plate-forme de l'empereur avait été fermement attachée au plus résistant des altisaures dont disposait l'Empire du soleil, ce qu'Apatzec appréciait grandement. En tant que souverain, il n'avait jamais vraiment eu de raison valable pour quitter son palais. Comme on l'utilisait donc peu, la plate-forme d'apparat royale s'était recouverte de poussière. Le retour d'Huatli ainsi que le dinosaure qu'elle avait amené avec elle représentait pour Apatzec une excellente raison d'ordonner qu'on nettoie la plate-forme et qu'on la prépare en vue de son voyage.

La prêtresse guerrière avait évoqué avec insistance un traité de paix. Malgré cela, Apatzec n'en démordait pas : il savait ce qui était à lui. Il avait donc immédiatement dépêché un bataillon de ses chevaliers les plus puissants en leur donnant l'ordre de vider la cité et il était désormais en route pour la réclamer au nom de l'Empire du soleil.

La mission s'était déroulée sans le moindre accroc car la ville était déserte. Les Hérauts de l'onde n'avaient même pas tenté de résister.

Au-dessus du faîte des arbres se trouvant devant lui, Apatzec distinguait les tours dorées d'Orazca qui perçaient le ciel comme des aiguilles et luisaient comme des bijoux dans le soleil de cette fin de journée. L'empereur s'émerveilla devant ce spectacle en se demandant quels mots utiliseraient les poètes qui décriraient la scène à l'avenir. Il n'était pas lui-même adepte d'un langage très fleuri. Tout ce qu'il savait, c'était à quel point il se sentait satisfait d'avoir accompli ce que sa mère n'avait pas pu faire.

Alors qu'il avançait, Orazca se dévoilait de chaque côté de lui. Alors qu'ils entraient dans la ville, les arbres laissèrent la place à des colonnes d'or pur. Les bâtiments s'élançaient vers le ciel et atteignaient des hauteurs telles qu'Apatzec restait ébahi à l'idée que ses ancêtres aient pu construire jusqu'à cette altitude. Malgré sa taille très imposante, l'altisaure de l'Empereur passa aisément sous l'arche principale.

La caravane s'arrêta au pied d'un temple central devant lequel des centaines de chevaliers attendaient son arrivée, rassemblés en ordre serré. Avec un peu d'assistance, Apatzec descendit de la plate-forme et mit pied à terre. Un prêtre posa une cape de plume sur ses épaules et lui glissa un sceptre d'ambre dans la main.

Le souverain eut l'impression que cette mante faisait peser sur lui tout le poids de ses ancêtres. Il sentit la présence de la lignée ininterrompue d'empereurs qui l'avaient précédé, ce qui redoubla sa fierté d'avoir repris ce qui avait été perdu. Il se tourna vers son peuple et sourit.

« Orazca est à nouveau à nous, déclara-t-il. Les trois aspects du soleil brillent avec éclat et ainsi débute une nouvelle ère de conquête pour l'Empire du Soleil. Ixalan nous appartient . . . et Torrezon suivra. »


Les combattants d'Ixalan Histoires archivées
Profil du Planeswalker : Huatli
Profil du Planeswalker : Saheeli
Profil du Planeswalker : Angrath
Profil du Planeswalker : Vraska
Profil du Planeswalker : Nicol Bolas
Profil du Planeswalker : Jace Beleren
Profil du plan : Ixalan


Rekindling Phoenix
Phénix ravivé | Illustration par Jason Rainville

Magic L'histoire se poursuivra en mars 2018 sur Dominaria.

Magic : The Gathering Équipe narrative:

Auteurs – Alison Luhrs et Kelly Digges
Rédacteur – Gregg Luben

Ixalan Développement de l'histoire:

James Wyatt (Direction créative)
Chris L'etoile
Doug Beyer

Remerciements à :

Jenna Helland
Ken Troop