Bienvenue à la semaine Zendikari vs. Eldrazi ! Cette semaine, nous allons parler de tous les conflits majeurs du bloc La bataille de Zendikar, et je me suis dit que ma chronique serait le lieu idéal pour examiner notre façon de concevoir un conflit opposant deux camps. Bien entendu, j'utiliserai La bataille de Zendikar pour mes exemples.

C'est la guerre

Laissez-moi tout d'abord définir ce que j'entends par « conflit opposant deux camps ». Pour moi, cela signifie que l'histoire met en scène deux factions clairement identifiées, bien distinctes et qui s'affrontent. Dans La bataille de Zendikar, ces deux factions sont les Eldrazi et les Zendikari. Tout les oppose, y compris leurs objectifs. Les Eldrazi veulent dévorer le monde de Zendikar, et les Zendikari ne veulent pas les laisser faire. Pour sauver leur monde, ils doivent arrêter les Eldrazi—entraînant ainsi un conflit.

Certes, Magic se base sur les conflits, ce qui fait que presque toutes les histoires feront intervenir un affrontement des différents éléments d'un monde. Mais ce qui rend unique un conflit opposant deux camps, c'est que (presque) chaque carte de l'extension est identifiée comme appartenant à l'un ou à l'autre. Cela implique que l'équipe de création est tenue d'établir et d'accentuer ce conflit. Voici les cinq choses à faire pour concevoir un conflit opposant deux camps :

1. Définir mécaniquement chaque camp

D'abord, il faut créer une identité mécanique pour chacune de vos deux factions. La meilleure façon d'y parvenir est d'identifier ce que vous souhaitez voir chaque faction représenter. Pour La bataille de Zendikar, les deux factions existaient déjà. Il s'agissait donc plus de comprendre comment utiliser des mécaniques pour renforcer leurs identités.

Généralement, je commence par choisir des termes qui décrivent la faction. J'ai par exemple défini les Eldrazi en cinq caractéristiques :

  • Ils sont ancestraux : les Eldrazi figurent parmi les créatures les plus anciennes en existence.
  • Ils sont énormes : les Eldrazi sont physiquement très imposants.
  • Ils sont impénétrables : une des plus graves menaces posées par les Eldrazi est qu'ils sont si différents qu'il est impossible de raisonner avec eux, et que leurs plans sont imprévisibles car nul processus de pensée humain ne saurait les comprendre.
  • Il sont interconnectés : les Eldrazi sont étrangement liés les uns aux autres. Ce ne sont pas des entités distinctes, mais des éléments d'un ensemble plus vaste œuvrant de concert.
  • Ils sont voraces : les Eldrazi, et plus particulièrement Ulamog, sont possédés d'une faim insatiable. Ils dévorent un plan jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien.

Établir ces caractéristiques permet à mon équipe de création d'attribuer des mécaniques et des thèmes mécaniques qui les représentent. Par exemple, voici comment les cinq attributs des Eldrazi ont été transcrits mécaniquement :

  • Ils sont ancestraux : l'absence de couleur représente l'âge des Eldrazi, dans la mesure où leur apparition précède celle du mana coloré.
  • Ils sont énormes : les Eldrazi, surtout les plus importants, sont très puissants et résistants.
  • Ils sont impénétrables : l'ingestion et les convertisseurs agissent sur la zone d'exil, chose que nous ne faisons pas d'ordinaire.
  • Ils sont interconnectés : les scions aident à jouer les Eldrazi plus gros, tandis que l'exil en masse permet de nourrir les convertisseurs.
  • Ils sont voraces : les Eldrazi utilise l'exil en masse, qui représente leur faim insatiable.

Agrégat abject | Illustration par Chris Rallis

Pour les Zendikari, nous avons procédé de façon similaire :

  • Ils sont désespérés : au début de notre histoire, les choses ont très mal tourné pour les Zendikari, et ils comprennent que s'ils n'arrêtent pas les Eldrazi, leur monde est condamné.
  • Ils sont acharnés : les Zendikari n'ont rien à perdre, alors ils donnent tout ce qu'ils ont.
  • Ils sont coopératifs : malgré leurs différences, les Zendikari doivent s'unir face à un ennemi commun.
  • Ils sont petits : comparés aux Eldrazi, les Zendikari sont minuscules.
  • Ils sont liés à la terre : un des rares avantages des Zendikari est qu'ils sont étroitement liés à leur monde. Heureusement, comme nous l'avons appris lors de notre dernière visite, celui de Zendikar est conscient.

Ensuite, nous avons trouvé des moyens mécaniques d'exprimer ces caractéristiques :

  • Désespérés : les Zendikari sont conçus pour être plus rapides.
  • Acharnés : les Zendikari sont plus agressifs et utilisent le toucheterre, qui encourage l'attaque.
  • Coopératifs : les Zendikari ont la mécanique de ralliement, qui incite à jouer beaucoup d'alliés en même temps.
  • Petits : les Zendikari sont d'une taille bien inférieure à celle des Eldrazi.
  • Liés à la terre : les Zendikari ont accès au toucheterre et à l'éveil, qui créent une synergie avec les terrains.

En pratiquant ainsi, vous êtes à même de créer des factions dont les mécaniques renforcent l'ambiance.

Le plus souvent, cette technique vous fait distribuer les mécaniques entre les factions. Par exemple, chaque mécanique dans La bataille de Zendikar est soit Eldrazi, soit Zendikari. Aucune ne se chevauche. Il est toutefois possible de créer une mécanique propre aux deux factions, à condition de trouver une façon de différencier l'utilisation que chacune en fait. La mue pourrait en être un bon exemple. Les Khans de Tarkir comportait cinq factions au lieu de deux, mais la mue était une mécanique utilisée par toutes. La façon dont elles s'en servaient était l'un des moyens que nous utilisions pour les différencier.

2. Créer une synergie mécanique au sein de chaque faction

Une fois les factions déterminées, la suite consiste à déterminer comment faire collaborer les éléments mécaniques de chacune d'elles. Une des façons importantes de donner une impression d'unité à une faction est de s'assurer que ses éléments ont une synergie mécanique. Jetons un œil aux deux factions présentes dans La bataille de Zendikar.

La solution pour obtenir la cohésion mécanique des Eldrazi a été de s'assurer que chaque Eldrazi était soit une menace, soit une carte permettant d'activer les menaces. Par exemple, les Eldrazi ont beaucoup de grosses créatures menaçantes. Les jetons de créature Eldrazi et Scion ont été inclus car ils accomplissent deux choses importantes. Primo, ils peuvent fournir du mana incolore pour aider à lancer les Eldrazi coûteux et secundo, on peut les utiliser de façon défensive pour faire un "chump block" (NDR cad bloquer une grosse créature sans le piétinement avec une petite créature), ce qui vous permet de survivre assez longtemps pour faire arriver vos Eldrazi plus gros sur le champ de bataille. De la même façon, nous avons utilisé l'exil pour représenter la faim dévorante des Eldrazi et nous avons créé une série de créatures, les convertisseurs, qui vous permettent de tirer avantage de cette ressource.

Drone incubateur | Illustration par Cynthia Sheppard

Pour ce qui concerne les Zendikari, nous avions un ordre du jour plus agressif. Les Zendikari ont tendance à être plus petits et donc moins coûteux à lancer. Les mécaniques de toucheterre et de ralliement sont utilisées pour favoriser l'attaque. Le ralliement vous incite à élargir votre éventail de couleurs afin d'obtenir davantage d'alliés, ce qui rend ensuite votre deck plus adapté à la convergence. Dans le même temps, les mécaniques centrées sur les terrains ont tendance à en mettre davantage en jeu, ce qui vous permet d'avoir à la fois le mana et la cible à disposition pour les sorts d'éveil.

Il est important de se souvenir que certains joueurs aiment accompagner l'histoire que vous leur présentez. Si vous leur donnez à choisir entre deux camps, ils seront encouragés à en choisir un et à le jouer. Il faut vous assurer que chaque faction envoie un message clair sur ce qu'elle accomplit et qu'elle a de quoi permettre au joueur qui l'adopte de vivre l'expérience de jeu à laquelle il s'attend.

3. Créer des camps contrastés

Une fois les deux camps et leur identité établis, la prochaine étape consiste à comprendre les relations qu'ils entretiennent. Normalement, cela se fait à l'aide d'un contraste mécanique. De toute évidence, les deux factions ne doivent pas donner la même impression. Cette étape affirme que leurs différences devraient être définies par des contrastes.

Par exemple, nous avons défini les Eldrazi comme étant lents et imposants. Cela nous a aidé à faire des Zendikari leurs opposés absolus—petits et rapides— et ce rapport a facilité notre organisation de l'expérience de jeu pour l'extension. Les Eldrazi incarnent le camp du contrôle. Ils sont menaçants, mais prennent du temps à s'installer. Les Zendikari eux, jouent le rôle du camp agro. Ils sont rapides, mais peu endurants. Ce contraste nous permet d'exprimer l'essence du conflit dans le cadre du jeu.

Il y aura en général plus d'un contraste, car il est souhaitable que chaque camp ait plusieurs facettes. Les façons qu'ont les Eldrazi et les Zendikari de gérer la couleur sont elles aussi contrastées. Tous les Eldrazi sont incolores (soit ce que le R&D appelle de « vrais incolores »—avec un coût de mana générique— soit avec la carence). Leur thème s’intéresse également fortement au fait d’être incolore. Les Zendikari, en revanche, attachent beaucoup d'importance à la couleur. Cela se reflète à la fois dans la mécanique de convergence et dans le fait que les mécaniques zendikari vous encouragent souvent à utiliser des couleurs supplémentaires.

Il est important que votre public comprenne ce que chaque faction représente et la raison du conflit. Renforcer ce dernier dans le cadre du jeu aide à clarifier aux joueurs le pourquoi et le comment de l'affrontement.

4. S'assurer que chaque camp dispose des bons outils pour affronter son adversaire

Une fois un contraste mécanique obtenu, la prochaine étape consiste à garantir que chaque camp dispose des outils nécessaires pour affronter son adversaire. Si un camp applique une stratégie que son ennemi ne peut pas gérer, le déroulement du jeu en souffrira, dans la mesure où les joueurs auront tous tendance à utiliser le camp du vainqueur. Il existe deux façons de gérer cette situation. J'appelle la première la solution macro et la seconde, la solution micro. Pour que la création soit bonne, il vous faut les deux.

La solution macro consiste à garantir que la stratégie de chaque camp présente des vulnérabilités face à l'ennemi. Eldrazi, par exemple, est un deck qui progresse lentement et qui cherche à prendre le contrôle de la partie. Une vulnérabilité inhérente a été incluse dans ce modèle : ce deck doit se stabiliser, ce qui signifie qu'il est vulnérable à une stratégie rapide de contre. À l'inverse, la stratégie du deck Zendikari dépend souvent de l'agressivité. Si l'adversaire peut gagner assez de temps pour sortir ses forces plus imposantes, le camp des Zendikari se retrouve en difficulté.

La solution macro consiste uniquement à établir cette relation entre les stratégies de chaque camp. Il faut à chaque faction un itinéraire qui la conduira à la victoire, et une vulnérabilité face à la stratégie de l'autre camp. Cela garantit l'existence d'un lien dynamique.

La solution micro, elle, s'assure que chaque faction dispose de cartes individuelles fonctionnant spécifiquement contre l'autre camp. Par exemple, on identifie les Eldrazi à leur absence de couleur. Certaines cartes zendikari fonctionnent donc bien contre l'incolore. Dans le même temps, ils sont petits de nature, ce qui permet aux Eldrazi de disposer de réponses à même d'abattre des créatures inférieures en taille. Le cœur de la solution micro consiste à fournir à chaque faction des réponses à l'adversaire par le biais de cartes individuelles.

Il est important de vous souvenir que vous ne construisez pas seulement deux factions, mais aussi un écosystème plus grand donnant lieu à des parties amusantes et interactives. Cela signifie que vous devez inclure non seulement des menaces, mais aussi des ripostes.

5. Permettre aux joueurs de mélanger et de mettre en relation des éléments de chaque camp

Cette dernière étape est facile à louper, mais c'est l'une des plus importantes. Magic est un jeu de cartes à collectionner, ce qui signifie que la capacité de mélanger et de mettre des cartes en relation est crucial, à tel point qu'il faut vous assurer que vos deux factions peuvent bien jouer ensemble. Voici une autre façon d'envisager cela : certains joueurs voudront investir dans l'une des deux factions. De nombreux autres, cependant, voudront juste construire le meilleur deck possible, et la division en deux factions leur passera même au-dessus de la tête.

En outre, les extensions actuelles doivent durer un grand nombre de parties, surtout en Limité. Si vos deux factions n'interagissent qu'en vase clos, vous diminuez grandement le nombre de combinaisons possibles. Cela signifie que l'étape finale consiste à garantir l'insertion d'interactions permettant de jouer « entre factions ». Ce qui rend tout cela difficile, c'est qu'il ne faut pas que les interactions se voient trop, car il n'est pas souhaitable que l'ambiance suggère que les camps adverses travaillent ensemble.

Laissez-moi vous donner quelques exemples de la façon dont nous avons accompli cela dans La bataille de Zendikar. Tous les Eldrazi sont incolores, ce qui nous permet d'introduire un thème « l'incolore, c'est important » dans l'extension. À l'inverse, tous les Zendikari ont une couleur, mais nous avons tout de même trouvé le moyen d'inclure discrètement un peu d'incolore dans leur camp. Comment avons-nous fait ? En utilisant une règle à laquelle peu de joueurs pensent. Les Zendikari sont alliés au plan de Zendikar, alors nous avons créé la mécanique d'éveil, qui leur permet d'animer la terre pour qu'elle se batte à leurs côtés. Mais la terre est incolore, ce qui signifie que quand vous animez un terrain, vous faites une créature que les cartes « l'incolore, c'est important » eldrazi peuvent désormais appuyer. Cela vous permet alors de jouer l'éveil dans un deck Eldrazi.

Voyons maintenant le revers de la médaille. Les Zendikari ont tendance à jouer de façon très agressive. En tant que tel, un deck Zendikari récompense les stratégies qui « voient large », avec lesquelles vous amenez beaucoup de petites créatures sur le champ de bataille. Pour en tirer profit, les Zendikari ont des cartes qui comptent vos créatures ou qui renforcent toute votre équipe. Dans le même temps, les Eldrazi font des jetons de créatures 1/1 Scion pour les aider à produire le mana destiné au lancement des cartes eldrazi plus grosses. Mais les eldrazi et scions 1/1 jouent bien dans le cadre d'une stratégie qui « voit large ». Ainsi, tout comme les Eldrazi peuvent jouer des cartes d'éveil, les Zendikari peuvent jouer des cartes qui créent des jetons de créature Scion.

Tactiques en tandem | Illustration par David Gaillet

La preuve la plus probante de l'importance de cette étape peut probablement se trouver dans le dernier conflit opposant deux camps que nous avions créé : Les cicatrices de Mirrodin. Dans ce bloc, les deux camps étaient les Mirrans (c.à.d. les résidents de Mirrodin) et les Phyrexians (leurs envahisseurs). Pendant la création, j'avais inclus des croisements. J'avais spécifiquement créé un grand nombre d'artefacts avec des marqueurs « charge », puis m'étais assuré d'inclure la prolifération au niveau commun afin que le camp des Mirrans soit tenté de jouer des cartes de prolifération. Ensuite, j'ai incorporé un puissant thème de sacrifice de créatures et d'artefacts en noir et en rouge, qui permettait de mettre plus d'artefacts dans un deck Phyrexian.

Malheureusement, j'ai mal documenté les raisons qui m'y avaient poussé, et mes ajouts se sont fait diluer de façon significative pendant le développement. Au final, les camps Mirran et des Phyrexian se sont retrouvés trop isolés l’un de l’autre. Cela créait trop de répétitions de parties, car les decks Mirran et Phyrexian se ressemblaient souvent et posaient problème pour le draft : une fois bien parti dans une direction, on se retrouvait coincé et on ne pouvait plus revenir en arrière pour drafter l'autre camp.

Il est à noter que cette dernière étape n'empêche pas les joueurs qui veulent se consacrer à une faction de le faire. Elle garantit juste que les joueurs plus concentrés sur autre chose n'y soient pas contraints.

Livrer le bon combat

Quand nous parlons d'archétypes dans Magic, nous parlons le plus souvent de styles spécifiques de decks. La chronique d'aujourd'hui s'attache à bien montrer qu'il existe également des archétypes au niveau de la création. Des blocs différents ont des fonctions différentes et, par conséquent, des besoins distincts quand vous les élaborez. Nous ne nous limitons pas aux conflits opposant deux camps, mais ils restent un archétype central des extensions de Magic, dans la mesure où le jeu, après tout, se concentre sur la confrontation. Ainsi, quand on met sur pied un projet, il est important de comprendre quel genre de bloc/extension on est en train de créer et la structure que cela impliquera.

J'espère que vous avez apprécié la chronique d'aujourd'hui et, comme toujours, je serai ravi de lire vos commentaires. Vous pouvez me contacter par email ou par n’importe lequel de mes médias sociaux (Twitter, Tumblr, Google+, Instagram).

Rejoignez-moi la semaine prochaine pour une chronique à laquelle il manquera vraiment quelque chose. Pardon. Je voulais dire : une chronique portant sur la carence.

D'ici-là, puissiez-vous choisir un camp (sauf si ça ne vous dit rien, bien sûr).


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