Errer dans les Ténèbres, deuxième partie
Bienvenue à la deuxième semaine de previews de Ténèbres sur Innistrad. La semaine dernière, j'ai présenté l'équipe de création et commencé à expliquer comment cette extension en est venue à voir le jour. Aujourd'hui, je vais vous raconter la fin de cette histoire et vous dévoiler deux super cartes de preview supplémentaires (ainsi qu'une nouvelle carte de jeton non-créature). J'espère vous avoir mis l'eau à la bouche. C'est parti.
Tapi dans les Ténèbres
Quand nous nous sommes quittés en fin de semaine dernière, la conception s'était concentrée sur la façon d'exprimer la folie qui s'abattait sur le monde d'Innistrad. Jusqu'ici, nous avions trouvé les mécaniques suivantes :
- La folie—Cette mécanique, qui vous permet de lancer des cartes quand vous vous en défaussez (souvent à un coût moindre), a fait sa première apparition dans Tourment—dans Odyssée, premier bloc centré sur le cimetière—et a été réintroduite dans le bloc Spirale temporelle . Cette mécanique présentait de nombreuses difficultés, mais aucune autre ne parvenait mieux à capturer l'ambiance de... de la folie, quoi.
- Le délire—Cette mécanique était une variation du seuil (dans Odyssée), où les cartes ont deux versions, l'une d'entre elles étant active si vous avez au moins quatre types de carte différents dans votre cimetière. Comme je l'ai expliqué la semaine dernière, nous avons expérimenté un certain nombre de conditions différentes, mais celle-ci (suggérée par Ken Nagle) était celle qui se jouait de loin le mieux.
- La furtivité—C'est une mécanique d'évasion qui empêche votre créature de se faire bloquer par toute créature ayant une force supérieure à la sienne. La furtivité a été conçue comme une mécanique d'évasion qui vous empêchait de rendre votre créature imblocable bien plus grande grâce à des auras et des équipements.
- Les cartes recto-verso—Nous ne pouvions pas revenir sur Innistrad sans revisiter la mécanique spectaculaire du premier bloc. L'équipe de création a travaillé dur pour leur trouver une marge supplémentaire tout en permettant le retour d'exécutions très appréciées comme les loups-garous.
Petite parenthèse sur un aspect que j'ai brièvement mentionné la semaine dernière : quand nous avons décidé de retourner sur Innistrad, nous avons d'abord passé du temps à déterminer ce que nous voulions accomplir. Cela a exigé de revoir toute l'étude de marché sur ce que les joueurs avaient aimé dans Innistrad lors de leur première visite. Quand on examine les données, l'extension Innistrad est l'une des plus populaires que nous ayons jamais créée (ses seules vraies rivales étant des extensions des deux blocs Ravnica). J'entends par « populaire » que les mécaniques et l'ambiance ont été bien accueillies.
Obscure ascension était presque aussi bien notée sur le monde (c'est logique, puisqu'il s'agissait d'une suite) et un peu moins bien (même si sa note restait élevée) sur les mécaniques. Avacyn ressuscitée, elle, était moins bien notée que les deux premières extensions. Le thème des anges a été très populaire et l'extension s'est bien vendue, mais l'étude de marché a démontré que les joueurs n'appréciaient pas autant le monde ou les mécaniques. Si nous devions retrouver Innistrad, il était clair qu'il fallait plus nous concentrer sur un retour au début du bloc qu'à sa fin. Déterminer l'histoire a en grande partie consisté à trouver comment défaire certains évènements d'Avacyn ressuscitée. Il fallait que les choses empirent à nouveau. Hmm. Et si presque tout le monde, y compris les protecteurs du monde, commençait à perdre la tête ? Fin de parenthèse.
Nous avions donc rempli la plus grande partie de l'extension et il nous restait de la place pour un mot-clé. Mécaniquement, il devait accomplir certaines choses :
- Faciliter l'écoulement des cartes—Dans chaque extension, nous essayons de garantir des aides aux joueurs pour accéder aux cartes (cela a cependant été légèrement facilité depuis que le regard est devenu une capacité standard). Une grande partie de la conception se base sur la création de certaines synergies, et nous voulons être sûrs que l'écoulement des cartes est suffisant pour faciliter leur mise en œuvre.
- Donner aux joueurs l'occasion d'utiliser le mana de fin de partie—Nous nous efforçons de garantir que les joueurs, à travers une construction de deck pertinente, puissent réduire les risques d'insuffisance de mana. Pour y arriver, une ruse consiste à permettre aux joueurs de jouer un pourcentage légèrement supérieur de terrains, puis de s'assurer qu'il y ait de quoi utiliser ce mana plus tard dans la partie. La mécanique d'écoulement des cartes n'est pas toujours utile dans ces cas-là, mais elle l'est souvent.
Du côté de l'ambiance, nous avions un autre problème. L'équipe de création avait consacré toute son énergie à capturer l'essence d'un monde sombrant dans la folie. Toutefois, à mesure que le récit se mettait en place, il a commencé à prendre des airs de romans policiers. Jace est notre protagoniste. Il arrive sur Innistrad, apprend que quelque chose ne tourne vraiment pas rond et doit découvrir pourquoi. La folie jouait un rôle important puisque c'était elle que Jace voulait comprendre et faire cesser, mais il est devenu clair que l'extension devait trouver comment la lier mécaniquement à l'intrigue policière. Et bien, il nous restait une mécanique à ajouter. Pouvions-nous nous en servir pour à la fois satisfaire aux besoins mécaniques et d'ambiance ?
La part des Ténèbres
Nous avons commencé par donner un nom à cette mécanique. Nous voulions l'appeler « enquêter ». Qu'allait-elle faire, exactement ? Elle devait manifestement être liée à la pioche de cartes. Elle répondait au premier besoin mécanique ci-dessus et respectait tout à fait l'ambiance. Enquêter allait donc fournir plus d'informations (à savoir, des cartes). Nous avons expérimenté un certain nombre de mécaniques mais avons fini avec une capacité similaire à la « pioche impulsive » en rouge (exilez une carte du dessus de votre bibliothèque et vous pouvez ensuite la lancer jusqu'à la fin du tour).
Nous avions apporté deux modifications. D'abord, les cartes exilées du dessus de votre bibliothèque l'étaient face cachée. Cela signifiait que vous saviez ce que vous étiez capable de lancer, contrairement à vos adversaires. Nous nous sommes dit que cela ajoutait donc un peu de mystère. Ensuite, vous aviez jusqu'à la fin de votre tour suivant pour la lancer. Cela augmentait vos chances d'avoir assez de mana pour lancer ces cartes. L'équipe de création a jonglé quelque temps avec notre version d'enquêter, nous en étions plutôt satisfaits et c'est ce que nous avons transmis au développement.
Une fois le fichier en possession du développement, l'équipe a commencé à jouer l'extension pour voir ce dont elle était capable. Les développeurs sont en général des joueurs plus accomplis, puisque nous les recrutons à un haut niveau de jeu. À mesure qu'ils jouaient avec la capacité enquêter, ils ont constaté un problème. La carte ajoutée était si précieuse que vous la jouiez quasiment à chaque fois. La mécanique était très bavarde pour ce qui se résumait finalement à un simple cantrip (terme désignant les sorts ayant en effet supplémentaire la pioche d’une carte) vous obligeant à jouer la carte au tour suivant.
Dave Humpherys, directeur du développement pour Ténèbres sur Innistrad, a formé une mini-équipe de création pour voir s'il était possible de la remplacer. Les paramètres étaient similaires à ceux de la conception. La mécanique était censée s'appeler « enquêter » (pour renforcer le côté investigatif) et devait entretenir l'écoulement des cartes, mais Dave a décidé qu'il pouvait résoudre la question du puits de mana de fin de partie avec d'autres cartes. La mini-équipe a alors choisi de s'inspirer de l'histoire. Pendant la construction du monde, un des détails était la présence de nombreux petits minéraux originaux connus sous le nom de pierres indiciales.
Cela les a conduit à explorer la piste d'une enquête permettant de trouver des indices ou pierres indiciales. Et si enquêter créait un jeton d'artefact ? Et pas n'importe lequel, mais une pierre indiciale ? Admettons. Que ferait cette pierre indiciale (nous avons fini par l'appeler « indice »), alors ? La conception avait besoin d'écoulement des cartes. Et si l'artefact pouvait être sacrifié pour piocher une carte ? La mini-équipe lui a attribué un coût de mana car autrement, il se serait juste agi de « piochez une carte » et l'artefact n'aurait pas été nécessaire. Ce coût de mana était également un curseur que le développement pourrait monter ou baisser si besoin.
La mini-équipe en a été ravie et a repassé le bébé au développement. Dave et son équipe l'ont testé et en sont venus à la même conclusion. Je pense qu'ils ont jonglé avec des coûts de mana différents, mais deux s'est avéré être la valeur la plus efficace. C'était assez élevé pour avoir son importance, sans rendre l'obtention de la carte trop laborieuse.
Pour mieux comprendre le fonctionnement d'enquêter, je ferais peut-être mieux de vous montrer une carte. En fait, je pourrais même vous en montrer deux, puisque les deux cartes de preview que l'on m'a données ont cette capacité. Alors cliquez ci-dessous pour voir la Traqueuse infatigable, les Mystères d’Ulvenwald et un jeton d'artefact Indice.
Cliquez pour voir
Maintenant que vous pouvez voir quelques exemples, je peux expliquer une ou deux choses. Primo, « enquêter » est une action mot-clé (un mot-clé qui est un verbe), ce qui en fait un effet susceptible d'être appliqué, parfois quand des évènements spécifiques surviennent. Par exemple, dans les cartes de preview, vous pouvez enquêter dès qu'un terrain arrive sur le champ de bataille sous votre contrôle ou dès qu'une créature non-jeton que vous contrôlez meurt.
Ensuite, nous avons créé un certain nombre de cartes se déclenchant quand un indice est sacrifié. C'est important pour plusieurs raisons. Cela rend le choix du moment du sacrifice d'un indice plus intéressant. Vous ne le faites pas toujours le plus tôt possible. Cela crée un lien linéaire entre les cartes avec la capacité enquêter. Vous avez donc une bonne raison de vouloir construire un deck en contenant des tas. Et enfin, cela nous permet en essence de donner des effets aux indices autres que la pioche d'une carte. Si une carte faisant un indice a un déclencheur de sacrifice, elle donne en substance un deuxième effet à l'indice.
Le prince des Ténèbres
Enquêter était le dernier mot-clé, mais l'équipe de création avait encore d'autres problèmes à résoudre. Les tribus en premier lieu. Un des éléments distinctifs d'Innistrad était que nous avions quatre tribus de « monstres » (les esprits, les vampires, les loups-garous et les zombies) et les humains. Examinons-les un par un :
Les humains—À notre première visite, les humains étaient cernés par les « monstres » et faisaient ce qu'ils pouvaient pour survivre. Certains équipements étaient plus puissants entre les mains des humains. Leur thème était aussi de se regrouper pour combattre les monstres. Nous avons continué sur cette voie, mais en introduisant une nouvelle ambiance. À mesure que la folie s'abat sur le monde, les humains y sont très sensibles et nous les voyons commencer à perdre la tête. Les humains existent dans toutes les couleurs, mais les éléments tribaux se concentrent dans le blanc et le vert.
Les esprits—Les esprits sont liés aux humains. À nouveau, les humains qui meurent peuvent générer des esprits. Pour la plupart, les esprits ont le vol et paraissent contrôler davantage puisqu'ils ont tendance à manipuler ce qui se trouve autour d'eux. Le monde sombrant dans la folie, les esprits en subissent les répercussions et se font piéger de différentes façons. Ils sont principalement blancs et bleus.
Les loups-garous—Nous avons envisagé de modifier le fonctionnement des loups-garous mais avons décidé de les laisser tels quels. Ce sont toujours des créatures recto-verso qui se retournent dans les deux sens selon les mêmes critères que dans le premier Innistrad (ne pas lancer de sort transforme les humains en loups-garous tandis qu'en lancer deux pendant le même tour les retransforme en humains—pour ceux qui l'ignoreraient, cela reflète l'ambiance qu'il y a moins d'activité la nuit). Il y a une fois de plus des loups mécaniquement liés aux loups-garous afin de faciliter la création d'assez de cartes pour construire/drafter un deck. La tribu des loups-garous est celle qui a subi le moins de modifications. Les loups-garous et les loups sont rouges et verts.
Les zombies—Les zombies sont toujours un deck Contrôle lent destiné à écraser l'adversaire dans une partie prolongée. Ils sont toujours étroitement liés au cimetière et en reviennent souvent. Bien qu'il y ait encore un peu de « construction de zombies » à partir des cadavres (les créatures) de votre cimetière, ce thème est un peu moins prédominant que précédemment. La nouveauté, c'est que dans l'histoire, les zombies sont la seule tribu non affectée par la folie. Les zombies sont bleus et noirs.
Les vampires—À l'inverse des loups-garous, les vampires sont ceux qui ont le plus changé. Dans Innistrad, les vampires représentaient la tribu la plus agressive, avec une mécanique sans nom qui leur faisait gagner des marqueurs +1/+1 à chaque fois qu'ils infligeaient des blessures de combat à un joueur (ce que le R&D a surnommé « la capacité Slith » basée sur un groupe précédent de créatures avec cette capacité dans l'extension Mirrodin). La capacité Slith a (presque entièrement) disparu, remplacée par un lien étroit avec la mécanique de folie apparaissant en noir et en rouge, les deux couleurs des vampires. Les vampires d'Innistrad sont en train de perdre la raison, et c'est visible dans la mécanique de la folie utilisée sur de nombreuses cartes de vampire.
Les anges—Je le concède, les anges n'étaient pas techniquement une tribu dans Innistrad, mais ils sont apparus en force dans Avacyn ressuscitée. Notre plus gros clin d’œil à la troisième extension a été le nombre anormalement élevé d'anges, dont la plupart succombent à la démence qui s'abat sur le monde. Les anges sont principalement blancs, mais ils sont affectés d'étranges façons.
Des Ténèbres pourtant limpides
Le dernier problème que l'équipe de création a dû résoudre était un peu plus complexe, mais je vais tenter de vous l'expliquer. La synergie peut fonctionner de deux façons, que j'appellerai « synergie naturelle » et « synergie liée ». Il y a d'abord la synergie naturelle, quand les éléments individuels d'une extension se chevauchent d'eux-mêmes. Le saccage, par exemple, encourage l'attaque, et la mue cherche des occasions de bluffer. Par conséquent, ces deux mécaniques créent leur synergie. Vous n'avez besoin que d'elles pour que la synergie fonctionne.
La synergie liée survient quand les deux mécaniques ne se connectent pas directement, mais par synergie partagée. Par exemple, la folie n'est pas directement liée au délire, mais les deux sont synergiques avec des effets de défausse. La folie a besoin de la défausse pour fonctionner, puisqu'elle se déclenche quand des cartes sont défaussées, et le délire peut utiliser la défausse pour faciliter son « activation ». Ténèbres sur Innistrad est une extension avec plus de synergie liée que de synergie directe.
La synergie liée est plus difficile car elle nécessite plus d'infrastructure pour fonctionner. Pour la synergie naturelle, tout ce que vous avez à faire est d'inclure les mécaniques synergiques, et le tour est joué. Avec la synergie liée, vous devez toujours vous souvenir de ce qui les lie et vous assurer d'inclure les cartes liantes.
Une partie de la conception de Ténèbres sur Innistrad a consisté à déterminer les éléments liants et à garantir non seulement leur inclusion, mais aussi la documentation de l'ensemble pour que le développement conserve les ingrédients nécessaires. C'est un thème sur lequel je pourrai revenir une fois que vous en saurez tous plus sur l'extension. Si j'en parle aujourd'hui, c'est que c'était un élément clé pour faire fonctionner la conception.
L'Âge des Ténèbres
Le temps qui nous était imparti aujourd'hui est écoulé. J'espère que ces deux dernières semaines vous ont éclairés sur la conception de Ténèbres sur Innistrad. Comme toujours, je serai ravi d'avoir vos réactions sur cette chronique et l'extension. Vous pouvez me les transmettre par e-mail ou sur l'un de mes réseaux sociaux (Twitter, Tumblr, Google+ et Instagram).
Rejoignez-moi la semaine prochaine, où je raconterai des histoires carte-par-carte de Ténèbres sur Innistrad.
D'ici-là, puissiez-vous profiter du net sans sombrer dans la folie.
« En route pour le travail n°314—Trouver du boulot »
Une des questions que l'on me pose le plus souvent, c'est : « Comment décrocher un poste au service R&D de Magic/chez Wizards ? » Je réponds à cette question dans le podcast d'aujourd'hui.
« En route pour le travail n°315—Collaboration »
Magic est l’œuvre d'équipes travaillant de concert, alors dans ce podcast j'explique comment bien travailler ensemble.
- Episode 315 Collaboration (22.3 MB)
- Episode 314 Getting a Job (21.0 MB)
- Episode 313 Limited Edition, Part 6 (16.0 MB)
- Episode 312 Limited Edition, Part 5 (15.9 MB)
- Episode 311 Limited Edition, Part 4 (16.4 MB)