Cette année, dans le cadre de la Game Developers Conference, j'ai pris la parole pour revenir sur ma carrière de vingt ans de création pour Magic et les nombreuses leçons que m'a enseigné ce travail. Dans ma rubrique précédente, celle-ci et celle de la semaine prochaine, je reprends mon intervention leçon par leçon. La semaine dernière, j'ai couvert les six premières. Donc, voici la septième.

Leçon n°7

Cette anecdote débute dans un avion à destination de Milwaukee, dans le Wisconsin. Comme la plupart des employés de Wizards, je me rendais à la Gen Con, la plus grande convention américaine consacrée au jeu. (Depuis, cet événement ne se déroule plus à Milwaukee.) J'étais assis à côté de Christopher Rush qui, hélas, est décédé au début de cette année. (J'ai consacré un podcast à Chris. Attention, cela va vous faire monter les larmes aux yeux.) Pour ceux qui l'ignorent, rappelons que Chris a travaillé pour Wizards durant de nombreuses années et je suis ravi d'avoir eu la chance de le connaître. Bref, Chris était assis à côté de moi dans l'avion et nous avons commencé à discuter.

Il avait l'idée d'une manière différente pour faire un terrain de base. « Tout le monde sait ce que les terrains de base font, m'a-t-il dit. Inutile de gâcher de l'espace pour l'expliquer. Consacrons plutôt toute la carte à l'illustration. »

J'ai alors demandé ce que les autres pensaient de son idée. Chris m'a répondu que personne ne voulait faire ça. On lui avait dit que les joueurs n'avaient rien à faire de leurs terrains de base, que ce n'était pas un élément censé attirer l'attention. Chris était persuadé que ce n'était pas vrai, mais il ne parvenait pas à se faire entendre. Je lui ai alors dit que je trouvais cette idée excellente.

Projetons-nous environ un an plus tard, alors que j'étais en train de travailler sur Unglued. Mon objectif était de créer une extension qui bousculerait les conventions et oserait de nouvelles choses. Je voulais faire un cycle de terrains de base et je me suis souvenu de ma conversation avec Chris. Comme cette extension sortait du lot, personne n'a tiqué à l'idée d'utiliser des terrains pleine illustration et j'ai obtenu le feu vert pour les réaliser. Je suis allé trouver Chris en lui disant que je voulais lui confier l'illustration d'une carte sur laquelle je travaillais. Il s'agissait de la Plaine pleine illustration. Chris m'a fait un grand sourire. Cette anecdote nous amène à la leçon suivante :

Leçon n°7 : Offrez aux joueurs la possibilité de personnaliser le jeu

À l'université, j'ai également suivi des cours de publicité. J'y ai appris quelque chose d'intéressant. Si vous êtes dans un magasin à parcourir les marchandises et que vous n'avez jamais acheté un produit précis auparavant, qu'êtes-vous le plus susceptible d'acheter ? Réponse : la marque qui vous est la plus familière. Pourquoi ?

À cause d'un petit caprice du cerveau. Il associe votre reconnaissance de quelque chose avec la notion de qualité. Pour lui, si un élément vous est familier, c'est qu'il doit être meilleur. Votre cerveau associe votre conscience de quelque chose à un niveau d'importance donné. La reconnaissance équivaut à de la qualité. (Pour ceux parmi vous qui s'intéressent à la psychologie, techniquement, la reconnaissance conduit à la familiarité, qui conduit à la préférence, qui conduit à la qualité.)

En matière de conception de jeu, cela signifie qu'il est important pour vos joueurs d'établir un lien personnel avec le jeu. Plus les joueurs auront le sentiment que le jeu les concerne, plus leur cerveau l'abordera de manière positive. Comment y parvenir ? En leur proposant le plus de choix possibles. Présentez-leur différentes ressources, différents cheminements, différentes expressions. Offrez aux joueurs la possibilité de choisir (et de refuser) certains éléments et suggérez-leur que ce qu'ils choisissent est « à eux ».

Magic se débrouille très bien sur ce point. Il permet aux joueurs de faire toutes sortes de choix : les couleurs, les créatures, les personnages, les factions, les illustrations et même les cadres. Il s'est avéré que Christopher Rush avait mis le doigt sur quelque chose.

 

Leçon n°8

Cette leçon nous ramène en 2013 et à l'extension Insurrection, qui était la deuxième du bloc Retour sur Ravnica. Pour elle, on avait créé une carte appelée Complètement perdu.

Elle n'avait rien de bien spécial. Ce n'était qu'une carte conçue pour être jouée en Limité voire, au maximum, en Construit amical. Nous ne pouvions pas nous douter que cette carte allait être l'une des plus influentes de cette extension. Pourquoi ? À cause de ce bonhomme.

Il s'appelle Fblthp. Ce n'était qu'un petit homoncule perdu dans la grande ville. Les joueurs s'en sont emparés. Ils en ont fait la vedette de mèmes Internet. Ils ont commencé à l'insérer dans des illustrations inspirées par Magic puis par d'autres univers avant de le coller dans tous les contextes qui leur passaient par la tête. Ils l'ont mis en scène dans des bandes-dessinées, sur des cartes de vœux, etc. Wizards a alors décidé de rejoindre le mouvement. Nous avons réalisé des coques pour téléphones portables, des porte-clés et même une peluche. Fblthp est passé du statut de créature sans avenir sur une carte quelconque à celui d'icône de Magic. Cela m'amène à la leçon suivante :

Leçon n°8 : Ce sont les détails qui font que les joueurs tombent amoureux de votre jeu

En étudiant leurs choix, les joueurs cherchent des éléments auxquels ils pourraient s'attacher. Ils veulent découvrir un aspect du jeu qu'ils pourraient s'approprier. Dans Magic, les joueurs se lient à des cartes, des personnages ou, parfois, à une illustration.

Cela signifie donc que les détails ont leur importance car ils permettront à chacun de s'attacher au jeu. Des éléments qui pourraient passer pour insignifiants ne le sont pas. Tel ou tel petit détail ne touchera peut-être qu'une minuscule fraction du public mais représentera beaucoup pour ces quelques personnes en devenant l'élément grâce auquel un joueur s'attachera à votre jeu.

Le besoin d'individualité est fort chez les joueurs. Ils chercheront donc une petite parcelle de votre jeu avec laquelle ils entretiennent un lien privilégié. Les grandes choses ont tendance à trop attirer l'attention. C'est donc avec les détails les plus modestes que les joueurs s'attacheront le plus sur le plan émotionnel. Ces aspects n'ont donc rien d'insignifiant.

Leçon n°9

Il existe de nombreuses manières de jouer à Magic. Le terme de référence pour les désigner est « format ». Nous avons créé certains de ces formats comme le Standard, le Modern et le Booster Draft. D'autres n'ont pas été inventés par nous mais par les joueurs. Par exemple, citons les formats Pauper, Empereur et Commander. C'est de ce dernier dont je voudrais parler.

Le Commander a vu le jour quand des arbitres ont cherché quelque chose pour jouer après de longues journées passées à accomplir leur tâche. Ils cherchaient quelque chose avec une certaine ambiance. Ils se sont donc intéressés aux cinq légendes ancêtres dragons de l'extension Legends. Au fil du temps, l'idée a évolué pour prendre en compte les créatures légendaires, c'est-à-dire les créatures qui dans le jeu représentent des personnages spécifiques.

Pour ceux qui n'ont jamais joué en format Commander, permettez-moi d'expliquer comment cela fonctionne. (J'ai simplifié les choses afin de faire court.) Vous choisissez une créature légendaire en tant que commandant. Ensuite, vous choisissez 99 autres cartes en respectant deux contraintes essentielles. D'abord, toutes les cartes doivent être exclusivement des mêmes couleurs que celles de votre commandant. Ensuite, aucune carte ne peut se répéter, mis à part les terrains de base. Résultat : vous jouez avec un deck Singleton de 100 cartes.

Petit à petit, le format Commander s'est répandu dans la communauté. Il a fini par prendre tellement d'ampleur qu'une année Wizards en a publié sa propre version : Commander (édition 2011). Elle a rencontré un tel succès que, désormais, nous publions un produit Commander par an. Ce format poursuit sa progression et il est aujourd'hui le format amical le plus joué. Cela nous amène à la leçon suivante :

Leçon n°9 : Offrez à vos joueurs un sentiment de possession du jeu

Une fois que vos joueurs ont fait leurs choix et qu'ils se sont attachés à des détails, il est temps de passer à l'étape suivante : autoriser la personnalisation. Le but est de laisser aux joueurs la possibilité de créer des choses qui leurs appartiennent en propre. Avec Magic, cette personnalisation peut prendre l'apparence d'un format, comme ça a été le cas avec le Commander, mais on la constate le plus souvent dans la construction de deck.

Les joueurs doivent alors rassembler 60 ou 100 cartes, ou quel que soit le nombre exigé par leur format. Ils peuvent les choisir parmi plus de 15 000 cartes différentes. Et pour chacune de leurs sélections, ils peuvent choisir quelle version spécifique ils désirent. Résultat : ils ne se contentent pas de construire un deck, ils créent leur propre deck, celui qui les représentera personnellement. Cela signifie que si leur deck gagne, ce sont eux qui gagnent car leur deck est bien davantage qu'un simple élément du jeu, c'est une véritable extension d'eux-mêmes.

En tant que concepteurs de jeu, nous devons comprendre ce besoin essentiel des êtres humains. On s'attache bien davantage aux choses que l'on crée soi-même. La personnalisation n'est pas qu'un moyen de s'en remettre au public pour créer du contenu, c'est aussi offrir aux joueurs la possibilité de s'approprier votre jeu.

Leçon n°10

Pour cette leçon, je dois vous présenter deux cartes. La première est le Pacte de l'invocateur, tirée de l'extension Vision de l'avenir.

Elle fait partie d'un cycle de cinq Pactes, chacun d'entre eux vous permettant de lancer un sort sans payer de mana. Au lieu de cela, vous devez promettre de vous acquitter du coût de mana au tour suivant. Si vous ne le pouvez pas, vous perdez la partie. Je considère cette mécanique comme un paiement à crédit. C'est gratuit un temps mais on finit toujours par devoir allonger la monnaie. Le Pacte de l'invocateur vous permet de sortir une créature verte de votre bibliothèque et de la mettre dans votre main. Comme vous n'avez pas payé pour le Pacte de l'invocateur, vous êtes donc libre d'utiliser votre mana pour lancer la créature que vous venez de sortir de votre bibliothèque.

La seconde carte que je dois vous présenter est la Conscience collective, tirée de l'édition de base Magic 2010.

La Conscience collective est un enchantement qui permet à chaque autre joueur de copier tout sort d'éphémère ou de rituel lancé. Cette carte a été conçue pour avoir des résultats amusants durant les parties multijoueurs. L'idée, c'est que si je lance un sort de Divination pour piocher deux cartes, tous les autres joueurs lancent aussi une Divination et piochent deux cartes.

Et que se passe-t-il quand vous combinez ces deux cartes ? Mettons que vous jouez la Conscience collective. Puis vous lancez le Pacte de l'invocateur. Tous les autres joueurs lancent donc un Pacte de l'invocateur. En clair, ils vont tous fouiller leur bibliothèque pour mettre une créature verte dans leur main. Attention toutefois : tout le monde ne joue pas vert, donc la plupart d'entre eux ne récupèreront pas de créature. Mais ce n'est pas la partie intéressante. Chaque joueur paie aussi à crédit. Chacun d'entre eux devra payer 2GG au tour suivant sous peine de perdre la partie. La plupart d'entre eux n'auront pas les moyens de payer leur dû et d'autres n'auront peut-être pas 2GG de disponibles. Tous ces joueurs perdront donc la partie à leur prochain tour.

Ce qui est fascinant dans cette combo à deux cartes, c'est que si on les prend à part, les deux cartes font toutes les deux des choses très différentes l'une de l'autre. Le Pacte de l'invocateur vous offre une créature. La Conscience collective copie des sorts. Jouées seules, aucune d'entre elles ne saurait causer la défaite d'un joueur (enfin... pas d'un autre joueur). En les combinant, vous pouvez donc accomplir quelque chose d'irréalisable en les jouant chacune de leur côté. Cela nous amène à ma leçon suivante :

Leçon n°10 : Laissez au joueur des zones à explorer

Vous avez offert au joueur des choix, des détails attachants et la personnalisation. Il est temps de parler de présentation. Avant d'être concepteur de jeu, j'ai mené une carrière très différente. J'ai travaillé pour Hollywood, en tant que scénariste de sitcoms. Une part importante de ce travail est ce qu'on appelle « pitcher ». Il s'agit de se retrouver dans une pièce pleine de monde pour présenter son idée de scénario dans le but de la vendre. C'est un exercice tellement important pour les scénaristes de Hollywood qu'on peut suivre des cours afin de s'améliorer.

La règle n°1 que j'ai apprise durant ces cours est la suivante : ne parlez pas à votre auditoire mais discutez avec lui. Par exemple, voilà un truc efficace qu'on m'a enseigné. Au lieu de dévoiler l'intégralité de votre intrigue à vos auditeurs, révélez-en juste un fragment puis laissez-les vous poser une question. Ensuite, livrez d'autres détails de votre histoire en répondant à leur question. Pourquoi cette méthode est-elle utile ? Parce que les gens s'investissent davantage quand ils prennent l'initiative. En poussant l'auditoire d'une session de pitch à poser une question, vous les impliquez dans la conversation. Ils prêtent attention car ils veulent entendre la réponse à leur question.

Appliqué à la conception de jeu, cela signifie que vous ne tenez pas toujours à montrer aux joueurs ce que vous voulez qu'ils voient. Laissez-les le dénicher. Donnez-leur les choix, les détails et la personnalisation mais permettez-leur de découvrir certains éléments car s'ils y parviennent, ils se sentiront plus impliqués.

Leçon n°11

La majorité des employés de Wizards of the Coast savent comment jouer à Magic, mais la plupart d'entre eux ne travaillent pas pour le service R&D. Il y a de nombreuses années, nous avons réalisé que nous pouvions utiliser cette ressource à notre avantage. À chaque extension, nous organisons ce que nous appelons le Sondage des Rares. Nous demandons aux fans de Magic qui font partie de la société de jeter un coup d’œil aux cartes rares et rares mythiques incluses dans une extension en développement. Ensuite, ils doivent noter les cartes sur une échelle de 1 à 10, 1 représentant quelque chose qu'ils n'aimeraient pas trouver en ouvrant un booster et 10 étant quelque chose sur lequel ils seraient ravis de tomber.

Nous avons procédé à des Sondages des Rares depuis des années tout en améliorant sans cesse le procédé. Sur cette longue période, nous avons appris plein de choses. En voici une. Permettez-moi de formuler sous la forme d'une question afin que vous puissiez penser à une réponse avant que je vous la donne. Imaginez que vous ayez deux cartes. L'une d'elles a tout à 7. L'autre a la moitié à 1 et 2, et l'autre moitié à 9 et 10. Partant du principe que vous ne pouvez en mettre qu'une dans votre extension, laquelle choisissez-vous ? Je vous laisse une minute de réflexion. Faites votre choix puis passez au paragraphe suivant.

Le service R&D est arrivé à la conclusion que celle qui a une moitié à 1 et 2 et l'autre moitié à 9 et 10 constitue le meilleur choix dans la majorité des cas. Pourquoi ? Parce qu'il est plus important de susciter une forte impression que de vouloir minimiser l'insatisfaction. Vous l'aurez compris, cela nous amène à la leçon suivante :

Leçon n°11 : Si tout le monde aime bien votre jeu mais que personne ne l'adore, ce sera un échec

Pour illustrer cette leçon, j'utiliserai la métaphore du rendez-vous surprise. Avant de vous rendre à ce genre de rencard où vous ne connaissez pas la personne que vous allez rencontrer, vous établissez une liste de qualités importantes à vos yeux. Quel est le meilleur cas de figure ? Que votre rencard satisfasse à tous les critères que vous avez établis sans qu'il y ait la moindre étincelle entre vous ou que le courant passe bien même si toutes les cases de votre liste n'ont pas été cochées ? La plupart des gens choisiraient la seconde proposition. Quelle importance que cette personne n’ait que quelques défauts mineurs si vous ne lui trouvez aucune qualité essentielle ? Le but d'un rencard n'est pas de minimiser les points négatifs. C'est de trouver ce qui vous intéresse en l'autre. Certes, la deuxième proposition n'est pas synonyme de réussite totale, mais c'est ce cas de figure qui a le plus de chance de conduire à un deuxième rendez-vous.

Vos joueurs n'ont pas besoin de tout aimer dans votre jeu, mais il est indispensable qu'ils aiment quelque chose. Un élément doit les attirer vers votre jeu et les toucher. Ne craignez pas que les joueurs détestent quelque chose dans votre jeu. Inquiétez-vous plutôt que personne n'en aime quoi que ce soit. Les éléments qui génèrent de fortes réactions le feront le plus souvent aussi bien en positif qu'en négatif. En clair, il est presque impossible de faire aimer quelque chose à certains joueurs sans que d'autres le détestent. En fait, certains joueurs adorent détester ce que d'autres apprécient. En résumé, ne craignez pas de générer une réponse négative mais cherchez plutôt à susciter une réaction profonde.

Leçon n°12

Pour la leçon suivante, retournons en mai 2012 et intéressons-nous à l'extension Avacyn ressuscitée. On y croisait un planeswalker démoniaque appelé Tibalt. À l'époque, nous avions créé de nombreux planeswalkers. Certains coûtaient trois manas, d'autres quatre, cinq ou six. Mais nous n'en n'avions encore jamais fait qui coûterait deux manas. Nous nous sommes alors posé la question : et si nous faisions de Tibalt un planeswalker à deux manas ? Notez bien que ce montant n'avait aucune utilité, tant au niveau de la carte qu'en ce qui concerne le personnage. Nous l'avons juste fait pour voir si nous en étions capables.

Tibalt est sorti et il s'est avéré nul. Il était tout simplement trop compliqué de créer un planeswalker à deux manas disposant du niveau de puissance que nous aimons voir chez nos planeswalkers. (Ultérieurement, nous avons créé des planeswalkers recto-verso pour Magic Origines qui débutaient en tant que créatures légendaires et se transformaient sous certaines conditions. Cela nous a permis de rendre les planeswalkers moins chers.) Les joueurs n'étaient pas satisfaits et toutes nos études de marché ont montré que Tibalt était le moins aimé des planeswalkers. Ce qui nous amène à ma leçon suivante :

Leçon n°12 : Ne créez rien juste pour prouver que vous pouvez le faire

Les créateurs ont souvent un gros ego et c'est même indispensable quand on veut bâtir quelque chose. C'est très bien d'avoir un ego, mais il ne faut pas que ce soit lui qui vous motive. Souvenez-vous que le but d'une conception de jeu bien menée est « d'offrir une expérience optimale au public visé ». Vos choix doivent servir le jeu, pas vous flatter. Posez-vous la question suivante : « Cette décision m'aide-t-elle à offrir une expérience optimale au public que je vise ou sert-elle à assouvir mon besoin d'autosatisfaction ? » Si vous répondez par l'affirmative à la deuxième possibilité, vos motivations ne sont pas les bonnes.

Ceux qui créent des jeux sont des joueurs dans l'âme. Il est très facile de considérer la création d'un jeu... comme un jeu. Mais vous distraire ou relever des défis, voire vous prouver de quoi vous êtes capable ne sont pas des raisons suffisantes pour entreprendre quelque chose. Vous devez examiner vos motivations et vous assurer qu'il s'agit bien pour vous de proposer un jeu qui sera ce qu'il doit être, au lieu de l'utiliser comme un moyen de vous prouver quoi que ce soit. De mes 20 leçons, celle-ci a sans doute été la plus difficile à retenir.

Leçon n°13

Pour cette leçon-ci, retournons en 2004 afin de nous intéresser à l'extension hors-série Unhinged. Pour ceux qui ignorent ce qu'est une extension Un-, rappelons qu'il s'agit d'une extension à bords argentés (donc ne pouvant pas être utilisée dans les tournois) conçue pour être humoristique et aborder les thèmes ainsi que les mécaniques de jeu d'une façon inenvisageable avec les extensions Magic normales à bords noirs, soit parce que ce serait impossible, soit parce que nous ne le souhaitons pas. Le jeu est souvent très compétitif et nous avons conçu Unhinged (et Unglued avant cela) afin de rappeler aux joueurs que Magic peut être drôle.

Dans Unhinged, j'ai créé une mécanique appelée gotcha (touché). Elle fonctionnait de la manière suivante : si une carte gotcha se trouvait dans votre cimetière et que votre adversaire accomplissait une action déterminée, vous pouviez dire « Gotcha ! » (« Touché ! ») et remettre la carte dans votre main. Pour résumer, l'idée était que les cartes gotcha ajoutent des paramètres bizarres aux actions des joueurs.

Plusieurs cartes gotcha se déclenchaient si votre adversaire disait certains mots qui étaient tous fréquemment utilisés durant les parties de Magic. Une carte gotcha s'intéressait au fait que vous vous touchiez le visage. Une autre s'intéressait au fait que vous touchiez la table. Une autre encore s'intéressait au fait que vous disiez un certain chiffre. L'une d'elles s'intéressait au fait que vous balanciez vos cartes. Et une autre s'intéressait même au fait que vous riiez.

Le problème que nous n'avons pas envisagé avant que le jeu soit lancé était que le meilleur moyen d'éviter d'avoir à subir les cartes gotcha était de ne plus rien faire. Ne plus parler, ne plus bouger, ne plus rire. Vous l'avez compris, cette extension conçue pour rendre Magic amusant utilisait une mécanique qui vous décourageait activement à faire des choses que vous feriez si vous vouliez vous amuser. D'où la leçon suivante :

Leçon n°13 : Faites en sorte que le côté distrayant de votre jeu soit aussi la bonne stratégie pour gagner

Ce n'est pas le boulot des joueurs de découvrir ce qu'il y a d'amusant dans un jeu. En tant que concepteur de jeux, c'est votre tâche d'agencer le côté distrayant de manière à ce que les joueurs ne puissent rien faire d'autre que de le trouver. Quand ils s'assoient pour jouer, il y a une promesse implicite faite par le concepteur du jeu que, s'ils font bien ce que le jeu leur dit de faire, ils vont s'amuser. La plupart des joueurs suivront donc à la lettre les règles pour atteindre le but recherché (le plus souvent gagner), même si ce n'est pas amusant. À la fin de la partie, s'ils ne se sont pas amusés, ils le reprocheront au jeu... et ils auront bien raison !

C'est votre travail, en tant que concepteur, de vous assurer que ce qu'il faut faire pour gagner à votre jeu passe par ce qui le rend amusant. L'amusement n'est pas accessoire. Cela doit être l'élément essentiel de l'expérience procurée par votre jeu. Je n'insisterai jamais assez là-dessus. Vous ne pouvez pas cacher le côté distrayant en espérant que vos joueurs viendront le chercher. Ce n'est pas leur boulot. Si vous êtes concepteur de jeu, c'est votre travail de guider les joueurs vers la distraction.

Treize leçons, il en reste sept

Nous avons fait les deux tiers du parcours. Comme toujours, je suis impatient de lire vos retours concernant cet article ou vos pensées sur la conception de jeu en général. Vous pouvez m'envoyer un e-mail ou me contacter sur l'un de mes réseaux sociaux (Twitter, Tumblr, Google+ et Instagram).

Retrouvez-moi la semaine prochaine pour la troisième et dernière partie de la série « Vingt ans, vingt leçons ».

D'ici là, puissiez-vous toujours vous amuser en jouant.


« En route pour le travail n°336—Top 10 : Les mécaniques non standards »

Ce podcast s'inscrit dans ma série de « Top 10 », où je reviens sur mes listes de Top 10. Aujourd'hui, je présente mes 10 mécaniques non standards préférées.

« En route pour le travail n°337—Le passé du jeu »

Depuis ma jeunesse, beaucoup de choses ont changé en ce qui concerne les jeux, y compris au niveau de la manière dont ils sont perçus. Dans ce podcast, je reviens sur ces changements et j'explique dans quelle mesure ils ont influencé les jeux d'aujourd'hui.